Le péché originel, en chassant l’homme du paradis terrestre, le laisse livré à lui-même, libre certes, mais en proie à l’angoisse devant les choix et les conséquences inhérents à l’exercice même de cette liberté. Or, ce n’est pas seulement d’angoisse métaphysique qu’il s’agit ici, car dans une perspective religieuse l’homme tiraillé entre le bien et le mal, entre ses bons et mauvais penchants joue par ses choix son éternité. Lui seul se sauve ou se damne et, si le diable est là, constamment présent, tentateur, séducteur, pour inciter à la facilité, la vigilance s’impose.
Colette Arnould
Si le concept de «dogme» ne vous est pas familier. Cherchez la définition de cette notion jouant un rôle central dans la religion chrétienne.
Colette Arnould exprime très bien, dans l’extrait de texte intitulé Le Diable, toute la tension affective et sociale qui résulte de ce qu’elle nomme l’angoisse métaphysique de la liberté. Pour bien saisir cette structure morale reposant sur la responsabilisation de l’individu il importe de mettre le dogme «du pêché originel» et le «dogme de la rédemption» en relation avec la liberté.
Dans la religion chrétienne l’humain, le générique utilisé étant l’Homme (ceci n’est pas sans signification) est libre de commettre le pêché donc de choisir le mal. Ce sera le cas d’Adam qui acceptera la pomme offerte par Ève. Toujours les pommes! Et une fois en état de pêché, comprenez bien qu’il demeure libre de désirer sa rédemption afin de retrouver la béatitude éternelle, sauver son âme et revenir à la vérité.
Présentée ainsi il est difficile de ressentir l’angoisse qui découle de la tension entre le pêché et la rédemption. Probablement parce que le problème est posé abstraitement, qu’il nous manque l’ensemble des récits susceptibles de nourrir notre imagination, le contexte du Moyen Âge au sens fort du terme, d’innombrables expériences vécues, une manière de penser, des idées et des sentiments pour lesquels nous n’avons pratiquement aucune référence. Il nous manque entre autre, pour bien comprendre les effets de la morale chrétienne, la croyance en la présence du diable, l’effet de la tentation à commettre le mal lorsque nous exprimons des désirs.
Tiré de l’Histoire de l’Inquisition au Moyen-Âge de H.-C. LEA, la littérature aidant, l’extrait que vous trouverez en suivant ce lien pourra certainement avoir quelques effets sur votre sensibilité : Au plus profond de l’incurable misère…
Le tableau de Jérôme Bosch, même s’il s’agit d’une peintre de la Renaissance, intitulé la Tentation de Saint-Antoine (1450-1516) vous aide-t-il à ressentir l’angoisse dont nous parlons?

Peut-être que cet extrait du film de Stanley Kubrick, le célèbre Shining, permettra d’approcher ce sentiment d’angoisse et ses liens avec la peur. Il ne s’agit pas du diable (bien que…) mais le problème de la responsabilité s’y trouve exprimé avec ses conséquences métaphysiques et surtout humaines.
Faites-en l’analyse sans perdre de vue notre problématique.
Se pourrait-il que l’éco-anxiété puisse relever d’une structure morale suffisamment proche de celle du christianisme pour que nous puissions parler d’angoisse métaphysique de la liberté? Ne sommes nous pas, chacun et chacune d’entre-nous la cause du désastre écologique (état de pèché) chaque fois que nous choisissons (liberté) de consommer des produits (tentations) qui détériorent l’environnement? Ne sommes nous pas aussi responsables de sauver la planète (rédemption) à travers chacun de nos gestes afin de retrouver une nature bienveillante (béatitude)?

Quelle est la limite de cette analogie entre la morale chrétienne et la crise environnementale?
Il importe aussi de voir et réfléchir à l’évolution de la figure du diable comme le montre Colette Arnould de manière à poursuivre la réflexion en tenant compte des transformations sociales, celles impliquant les manières de penser ainsi que tout ce qui renvoie au domaine des représentations. La figure de la sorcière est indissociable de celle du diable dont l’univers symbolique est en constante transformation.
Il y a un lien à faire entre l’angoisse des dogmes de la religion et celle reliée à la crise mondiale. Toutes les sphères reliées à la vie humaine connaissent présentement une crise, et toutes nos décisions sont influencées par la même question, soit « comment puis-je agir pour réduire mon empreinte au sein de toutes les crises mondiales? ». La pression placée dans responsabilisation de l’individu en ce qui concerne ses choix est illégitime, puisque les différentes crises sont entre les mains des multinationales et des gouvernements, et non pas entre celle de l’individu moyen. C’est le principe du capitalisme vert, dans le cas de la crise environnementale, qui tente de faire culpabiliser l’individu quant à son empreinte écologique (tout en sachant que ces petites actions n’ont quasiment aucun impact sur la crise environnementale). L’éco-anxiété est très similaire à l’angoisse métaphysique du dogme, elle relève de la culture la peur.
«[L]’effet de la tentation à commettre le mal lorsque nous exprimons des désirs[…]» peut être tellement immense, et c’est ce qui pousse l’homme à commettre des pêchés. La peur de commettre ces pêchés a toujours été existante puisque les désirs qui nous poussent à les faire sont extrêmement forts. Faire le mal est donc, selon moi, quelque chose que tout le monde peut faire. C’est pour cette raison que le diable, les sorcières ou n’importe quelle sorte de figure décrivant le mal ont toujours été représenté à travers la culture, car tout le monde peut s’y identifier. Le tableau de Jérôme Bosch en est un exemple puisqu’il montre de façon abstraite l’angoisse que le peintre ressent face à un monde de créatures étranges qui se différencient de lui. De plus, le film Shinning représente aussi l’angoisse. Nous avons même parfois l’impression que le personnage principal est possédé par le diable. C’est intéressant de constater que le diable, les sorcières ou le mal en général a toujours été représenté dans la culture populaire, que ce soit sur un tableau qui date de la Renaissance ou d’un film des années 80.
Marilyne Léonard-Thiffault
Nous pouvons très bien ressentir l’angoisse dans le tableau Jérôme Bosch. L’angoisse que l’on pouvait ressentir à l’époque face au diable (Aussi dans le Shining). J’ai aussi l’impression que c’est en lien avec la sabat des sorcières que cette image négative de la sorcière est apparue. Du moins, une des raisons.