Le moyen-âge est une période qui marque le début des chasses aux sorcières. À cette époque, on remarque que les femmes qui étaient qualifiées de sorcières, étaient des femmes souvent en quête d’émancipation, en marges ou voulant vivre selon leurs propres mœurs. Ces femmes ont été ostracisées, entre autres, à cause de leurs différences. Au début, l’église a tenté de mettre des règles pour faire entrer ces femmes dans leurs rangs et ainsi éviter qu’elles puissent devenir indépendante et plus forte que l’homme qui selon eux, était l’être ultime et puissant. Il est intéressant de se demander si le fait d’avoir ostracisé ces femmes à cause de leurs différences à cette époque a, encore aujourd’hui, des répercussions sur notre société actuelle ? Est-ce que la réaction des hommes d’église face à la peur et l’ignorance vis-à-vis ces femmes de l’époque est similaire que celle qu’on peut avoir envers certains groupes ou individus en quête d’indépendance ou d’émancipation en 2021 ? Au cours de ce texte, je tenterai de démontrer un lien plausible entre les comportements haineux de plusieurs individus à travers nos médias actuels et ceux dont ont été victimes celles qu’on caractérisait de sorcières au 14ième siècle.
Tout d’abord, la lecture des textes sur les sorcières mon fait réaliser que le sort qu’on réservait à ces femmes était horrible. Souvent, sans raison valable ou sans fait vérifiable, les sorcières ont été accusées à tort. En lisant sur leur histoire et sur les raisons qui ont poussé des gens à les accusées, les torturées et les mettre à mort de façon cruelle, on comprend que c’est la peur de la différence de l’inconnu, une forme d’ignorance, qui a poussé des groupes à bannir ces femmes. Dans le texte d’Armelle Le Bras-Choppard, La putain et le diable, l’autrice nous remet en contexte en expliquant que le christianisme brûlera une grande majorité de femmes sur des bûchers pour des actions qui seront par la suite démontrées comme étant non fondées. Elle en déduit que ces femmes, dites sorcières, seront perçues comme un réel danger d’où le désir d’en supprimer une si grande quantité. L’église, contrôlée en majorité par des hommes, usa d’action légale pour taire des individus et des groupes d’individus qui venaient à menacer leur contrôle sur la société, voir même à les éliminer. En voulant garder le pouvoir, l’église utilisait les facteurs de la peur et la démonisation pour faire accepter ces actions par la majorité citoyenne et ainsi les rendre banales face à la population. On formait des mouvements populaires pour mettre en accusation ces femmes et on gardait la communauté dans l’ignorance. Plusieurs procès étaient gagnés avec des arguments sans fondement comme par exemple, accuser des femmes âgées et veuves de s’être débarrassées de leurs maris en les empoisonnant avec des potions alors qu’il était prouvé scientifiquement qu’à l’époque, les femmes avaient une espérance de vie plus longue que celle des hommes. On en venait à accuser haut et fort sur la place publique les femmes qui vivaient hors des standards sociaux imposés par l’époque, et on les condamnait au titre de sorcières. Certes, l’action de torturer et de brûler vif un être humain est d’une violence extrême, et aujourd’hui ce geste serait sévèrement puni par la loi, mais il est intéressant de remarquer qu’à notre époque, on peut retrouver des mécanismes de défense similaires, sans pour autant être d’une telle violence physique, face à la peur d’individus ou des groupes de gens qui sont en marge de la société ou encore en quête d’émancipation pour s’assouvir des standards imposés inconsciemment par notre société et son histoire. En 2021, il est facile d’observer que des gens qui possèdent un certain pouvoir ont la capacité de tenir une partie de la population dans l’ignorance en créant une forme de peur face à des petits groupes d’individus ou des individus qui sont différents ou qui tentent de vivre différemment, selon leurs propres modèles de valeurs et de pensées, de ce que la société considère normal. En réconfortant des individus dans leur propre ignorance, souvent à travers des messages haineux, les orateurs de notre époque qui ont le privilège d’avoir une tribune publique, tout comme les prêtres du temps des chasses aux sorcières, vont miser sur la peur et accentuer la différence de manière déraisonné, voire obsessive, pour conserver une mainmise sur des groupes de gens qui viennent à leur donner un certain pouvoir le pouvoir est alors partagé : les orateurs sont légitimés par leur travail et les citoyens ont une voix pour faire entendre leurs messages. Ces orateurs des temps modernes sont principalement issus des médias, comme des chroniqueurs ou des animateurs de radio populaires, et viennent à rejeter la science, comme les prêtes, et utilisent de fausses vérités ou des arguments sans fondement pour venir fortifier leur public. Ils s’attaquent aux gens qui peuvent venir ébranler ou chambouler leurs schèmes de pensées en démontrant leur non-fondement. Il est certes moins violent que de s’attaquer à des gens avec des mots sur l’espace public à travers nos moyens de communication actuels (réseaux sociaux) que de mettre à mort des individus, mais je crois sincèrement que la violence psychologique, comme l’intimidation, peut s’apparenter à une forme de torture. Il est fort à parier que les victimes des trolls qui s’attaquent à eux sur des plateformes comme Facebook garderont des séquelles psychologiques de ces acharnements. Prenons pour exemple Safia Nolin, une autrice-compositrice-interprète, d’origine arable qui a tenu à rester intègre en s’exposant à ses fans dans toute son authenticité. Il s’avère qu’elle est aussi homosexuelle. On retrouve donc ici plusieurs éléments différenciateurs typiques qui peuvent choquer le citoyen moyen d’un certain âge, élevé dans un contexte différent avec des standards différents et ces mêmes éléments mènent souvent à des cas d’harcèlement ou d’intimidation sur les réseaux sociaux. On y ajoute la parole d’une Sophie Durocher, journaliste quinquagénaire blanche et privilégiée, qui décide de s’en prendre à Safia Nolin, parce qu’elle se présente à un gala en « t-shirt ». À noter que plusieurs hommes l’avaient fait auparavant (Kevin Parent, Éric Lapointe, Gerry Boulet) sans jamais créer de scandales ou de remous sur la place publique. Sophie Durocher bénéficie d’une énorme tribune publique en publiant des chroniques d’opinion de façon régulières dans le Journal de Montréal, va alors publier près d’une dizaine de chroniques s’attaquant à l’apparence physique de Safia et à son intégrité durant plusieurs années. Ces chroniques confortent des gens qui partagent le même point de vue et cette obsession subjective crée une véritable vague haineuse envers l’artiste sur les réseaux sociaux. Ils la traitent de « lesbienne frustrée », de « sale arable », de « grosse laide », etc. Bref, elle devient la cible d’attaques offensantes, chaque fois que Sophie Durocher fait une chronique ou une intervention radio à son propos. Ces intimidateurs sont souvent des gens qui se conforme aux normes sociales dictées par notre société, tout comme les gens du moyen-âge qui se conformaient aux normes dictées par l’église, vont se retrouver confrontés dans leur propre système de valeurs par les actions des autres qui ont des façons de penser différents, tout comme les sorcières à l’époque. Ces chroniqueurs utiliseront ensuite des boucs émissaires, comme le cas de Safia Nolin, pour réconforter des individus qui se sentent attaqués par ces non-conformistes afin de conserver leur pouvoir et leur popularité. Safia Nolin est pointé du doigt par une force autoritaire et devient la cible parfaite de ce qui peut déranger une strate de notre société. À mon avis, une des raisons majeures pour laquelle elle n’est pas victime de violence physique est la présence d’un écran d’ordinateur qui la protège de ces « trolls ». Il est intéressant de se demander si Safia Nolin se retrouvait au sein d’une communauté dont la majorité serait ses harceleurs, si elle n’en venait pas à subir des violences physiques par l’effet de l’entraînement de groupe. Comme disait Monia Chollet lorsqu’elle parle du fait qu’on ne veut pas voir la vérité sur les chasses aux sorcières : « […] elles illustrent d’abord l’entêtement des sociétés à désigner régulièrement un bouc émissaire à leurs malheurs, et à s’enfermer dans une spirale d’irrationalité, inaccessible à toute argumentation sensée, jusqu’à ce que l’accumulation des discours de haine et une hostilité devenue obsessionnelle justifient le passage à la violence physique, perçue comme une légitime défense du corps social ». Cela démontre bien la même spirale haineuse que l’on observe trop souvent sur nos réseaux sociaux, déclenché par les orateurs du 21ième siècle, chroniqueurs qui utilisent les mêmes procédés argumentaires que les gens du clergé de l’époque ; argumentaires faciles et souvent faux pour mener à bien un désir malsain de pouvoir et de répression envers certains individus marginaux, comme les sorcières d’autrefois. De plus, les réseaux sociaux offrent aujourd’hui une tribune à des gens qui normalement n’en auraient pas. Des gens qui n’ont pas les compétences requises en communication pour prendre parole dans l’espace public. Les métiers de journaliste ou d’animateur sont des métiers qui demandent des études et une expertise précise. Les réseaux sociaux inventés été à la base afin de réunir des gens, de les rassembler et de créer des communautés pour briser l’isolement social, se retrouvent à être l’équivalent d’une forme de place publique virtuelle apparente à celle du moyen-âge, où l’ont pouvaient sans preuve, accusé de vive voix une femme d’être une sorcière.
Depuis déjà plusieurs années, un examen de conscience se fait par rapport à ce que nous exposent nos médias traditionnels et les répercussions que cela a sur les réseaux sociaux. Depuis plus d’une décennie, nos gouvernements répètent mettre en place des plans dans les écoles pour faire cesser l’intimidation, mais comment concrètement s’inscrivent-ils dans le cursus scolaire des étudiants ? Selon moi, des cours d’enseignement sur l’utilisation et les impacts des réseaux sociaux devraient être instaurés au secondaire au même titre que les cours d’éducation sexuelle. C’est à se demander si on ne devrait pas également commencer à enseigner la philosophie au secondaire afin d’outiller les jeunes à approfondir leurs réflexions, déconstruire leurs préjugés et ainsi peut-être développer des principes de pensé rationnel, s’appuyant sur des faits, à des gens qui n’iront peut-être pas au cégep ou à l’université. Et si l’éducation face à l’intimidation sur les réseaux sociaux mériterait d’être imposée à l’ensemble de la population ? Comme je l’ai démontré dans mon texte, la religion chrétienne laisse encore des traces dans nos façons de construire notre monde et il est intéressant de remarquer que la majorité des cas d’intimidation extrêmes sur la place publique numérique met en évidence un clivage intergénérationnel : une génération qui a été élevée avec des traces d’une forme de répression religieuse au Québec et une autre qui s’en est presque totalement libérée.