« But I also saw the metamorphosis of the desert,
I saw a beautiful woman married to a broken man.
Her hand is in his hand and she walks through the community
She has a yellow skin that protects her from the wind
The whiteness of her teeth are bright. » [1]
Dans deux boites suspendues sur un long fil d’acier s’étendant de l’extrémité droite à l’extrémité gauche de la scène :
Un homme Une femme
Dans chacune des boites, on voit une douche, une radio et une petite pancarte ou est écrit : le sacré. Par une fente placée au niveau du sexe devant la douche, les deux personnages peuvent se regarder; ils n’ont aucun autre moyen de se voir. Pour communiquer, ils crient par la fente.
Leurs radios sont désynchronisées, elles crachent sans discontinuité.
Leurs radios (voix grésillante et grave comme celle du narrateur de l’album F# de Godspeed You! Black Emperor ):
Lance. Attrape. Mords. Chante. Saute. Paye. Tue. Pleure. Jouis. Crève. Lève. Marche.
Mange. Avance. Sers. Montre. Ferme. Lèche. Tombe. Attrapes. Crève. Cambre.
Change. Prie. Attrape. Crève. Lance. Crève. Relève. Chante. Marche. Suis. Avance. Crève.
Rase. Marche. Laisse. Regarde. Jouis. Soigne. Crève. Pèse. Oubli. Trouve. Crève.
L’homme (en criant) : Montre !
La femme se place devant la fente.
L’homme : Les femmes sont trouées en deux. Rentrées de l’intérieur. Postées dans leurs tripes. Cachées dans leurs ovaires. Les fourreaux de la race! Les femmes sont des petits pains chauds. Une femme, ça se supporte, ça s’adopte, ça se nourrit soi-même. Les femmes, c’est éternel, ça a la chatte branchée sur les mystères[2]. Femme comme femelle. Femme comme ce Fff qu’on aspire plus qu’on expire, et ce « elle» aérien, et ce «minin» frère de mignon, mini, minet, et ce « femme» toujours plus fort, incessant. Les femmes, ça s’enroule, ça enveloppe, ça couve les hommes. C’est immense, une femme. Face à ça, les hommes paraissent tous petits, moins que rien. Les hommes, ça se faufile entre les énormes hanches des femmes, ça fait attention pour ne pas rentrer dedans. Mais les femmes, c’est brut, c’est animal, ça ne comprend pas de quoi les choses sont faites. Il y a l’estrogène entre la femme et la réalité.
La femme (en criant) : Montre !
L’homme se place devant la fente.
La femme : Les hommes sont laids. Dès leurs naissances, à peine sortis, on sait déjà qu’on n’en voudra presque pas, qu’il n’y a plus rien à explorer, que tout est dit. Les hommes sont fins, plus fins que du papier, fragiles comme des papillons. Ils battent, ils battent des ailes. Ça, ils le font, ils battent des ailes. Mais personne ne sait où ils vont. Les hommes ont honte de ne pas être des femmes; les hommes aimeraient être quelque chose… Ils s’accouplent avec les femmes par dédain d’eux-mêmes, pour retrouver un peu de ce qu’ils ont laissé aux portes de l’existence [3]. On dit des femmes qu’elles furent créées en cachette par dieu, pourtant tout indique l’inverse. Parce que ce n’est pas les femmes qui portent la honte de l’humain, ce sont les hommes. Leur honte les obsède, comme cette verge qui pend hors d’eux, désensibilisée, livrée au monde, indéfendue. Il ne suffit que d’un coup, un seul shlack! Plus d’homme. Plus d’homme du tout. Alors là peut-être, il serait question de bonheur pour tous.
Les deux boites se rapprochent.
Le fil de fer le permet, par un système de poulies.
L’homme : Donne la main !
La femme tend la main.
L’homme la tend aussi.
Les bouts de leurs index sont à peine à quelque centimètre de distance.
Leurs radios (voix grésillante et grave):
Le bienfait de la compagnie d’un chien tient à ce qu’il est possible de le rendre heureux ; il
Moi, je suis une étrangère. Voilà pourquoi je peux me permettre de vous parler de
demande des choses si simples, son égo est si limité. Il est possible qu’à une époque antérieure les
la sorte. Je suis une femme, mais je ne suis pas Humaine. Je ne suis pas une
femme se soient trouvée dans une situation comparable – proche de celle de l’animal
femme de votre espèce. Si j’étais humaine, croyez-vous que j’oserais seulement
domestique. Il y avait surement une forme de bonheur domotique lié au fonctionnement commun,
y voir clair ? Je subirais, comme vous tous, le poids mythologique de toutes les
que nous ne parvenons plus à comprendre. Tout cela à disparu, et la série des tâches; nous
générations qui ont précédé les vôtres et je ne verrais pas bien où le bât blesse.[4]
n’avons plus d’objectif assignable. [5]
L’homme : Les hommes et les femmes sont pareils. De la même souche, du même pli. Miroirs. En somme : l’homme et l’hommesse, le fem et la femme, le monsieur et la monsieuse.
La femme : L’homme et la femme sont pareils. De la même souche, du même pli. Miroirs. Si on ne considère ni le sang ni le ballon qui se gonfle sous elles, qui les colonisent, qui les déchire. Si on ne considère pas la différence entre le pénétré et le pénétreur. Alors on peut ne plus les croire : les mots, les yeux, les doigts.
Les deux boites se rapprochent encore.
Ils sont face à face.
L’homme : Regarde-moi.
Ils se regardent.
La femme : Regarde-moi.
Ils se regardent.
Leurs radios :
Ce que tu proposes là, c’est une moralité d’homme. Moi, je pense que toutes ces
Femmes, soyez soumises à vos maris, comme vous l’êtes au Seigneur. Car le mari est le chef de sa
Idée, la mesure, la moralité, ont été inventée par les hommes pour compenser la
Femme, comme le Christ est le chef de l’Église. Le Christ est en effet le Sauveur de l’Église qui
Limitation de leur plaisir. Car les hommes savent depuis longtemps que leur
Est son corps. Les femmes doivent donc se soumettre en tout à leurs maris, tout comme l’Église
Plaisir ne pourra jamais être comparé au plaisir que nous endurons, que ce plaisir-
Se soumet au Christ. Maris, aimez vos femmes tout comme le Christ a aimé l’Église jusqu’à
Là est d’un autre ordre.[6]
Donner sa vie pour elle.[7]
L’homme : Pendant que tu creuses le mur, je t’observe. À certains moments, je ne vois qu’un morceau de toi, et je le regarde intensément comme si j’allais y trouver quelque chose. Rien qu’un morceau de toi, il me faudrait ça; un morceau de femme sur mon étagère. Je n’ai pas d’étagère. Je te coucherais au sol. Je dirais : « ça, c’est mon morceau de femme ». Je pourrais te donner un morceau de moi pour que tu fasses la même chose. Tu pourrais me dessiner dans du carton et me mettre proche de toi, tu dirais : « ça, c’est mon morceau d’homme ». Là-bas, dans le fleuve, tous ses gens se réfléchissent. Ils sont tous portés par le même fleuve. Quand on sort du fleuve, on s’assoit comme un arbre, on reste ou on est, on ne s’aventure plus. Ça me rappelle mon enfance, tout proche. Le monde d’avant, tu le libères. Tu es une forêt, et je suis le vent qui la fait bruire. Nous enfuir ? Pour aller là-bas, dans le fleuve … Je n’en sais rien. Tu me fais peur. Tu creusais dans le mur l’autre soir, le bruit était insupportable.[LR1]
L’homme et la femme se regardent.
Ils se reculent tous les deux juste en dessous de l’écriteau où est écrit : le Sacré.
Ils s’accroupissent, et urinent.
[1] Les filles de Illighadad, Telilit. https://www.youtube.com/watch?v=pgxCIs-SFpk&ab_channel=SahelSounds
[2] Michel, HOUELLEBECQ, La possibilité d’une île, Paris, Fayard, 2005
[3] Jonathan LITHELL, Les bienveillantes, Gallimard, 2006
[4] Louky BERSIANIK, L’Euguélionne, Typo, 2012
[5] Michel, HOUELLEBECQ, La possibilité d’une île, Paris, Fayard, 2005
[6] Jonathan LITHELL, Les bienveillantes, Gallimard, 2006
[7] Nouveau Testament, Éphésiens 5:22-33.