Claire. Parler de ma prostitution ? In: Sorcières : les femmes vivent, n°3, 1976. Se prostituer. p.3 ;
Une sorcière, c’est quoi en fait?
Laide, vieille, folle, sénile, sexuelle, inappropriée, turbulente, expressive ou tout autre adjectif féminin péjoratif fonctionne pour décrire l’image créée fabriquée de la sorcière. Le terme important est « féminin », car non, la quasi-totalité du temps ce ne seront pas des termes avec un accord masculin qui seront utilisé pour décrire une personne que l’on qualifie de sorcière. Si je te demandais de fermer les yeux et de penser, de penser très fort et avec le plus de détails possibles, de créer une sorcière dans ta tête, à quoi ressemblerait-elle? Pleine de boutons, un gros nez, des cheveux noirs mal entretenus, des mains ratatinées qui tiennent une potion magique et un accoutrement noir démodé? Cela est une réponse assez générale, mais de l’autre côté de la médaille, il y a une perception complètement opposée. Tu pourrais aussi t’imaginer cette femme dans une longue robe noire serrée, mettant en valeurs chacune de ses courbes féminines. De sa poitrine, à sa taille de guêpe, à ses hanches rondes, à ses cuisses qui ne se touchent jamais pour se rendre finalement à ses petits pieds qui remplissent parfaitement les talons aiguilles qu’elle porte. A-t-elle son chapeau pointu, ou le focus est-il placé sur ses longs cheveux luisants? Une peau de bébé, des yeux séduisants et un rouge à lèvre d’un rouge éclatant pourraient aussi sonner une cloche. En effet, l’image de la sorcière peut varier d’une vielle laide qui fait des potions dans son chaudron à une femme extrêmement sensuelle avec des pouvoir irrésistibles de séduction. Les costumes d’Halloween qu’on propose aux jeunes femmes n’aident clairement pas à cette sexualisation de la sorcière, mais les costumes sexy d’Halloween ne sont pas la seule source.
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La sexualisation de la sorcière
Ce n’est pas étonnant que la sorcière est sexualisée depuis l’arrivée de cette catégorisation, puisque n’importe quelle forme que va prendre la femme, elle sera systématiquement réduit à son aspect sexuel par l’homme. Depuis le moyen âge, la sorcière est en effet sexualisée due à la représentation que l’imaginaire collectif lui a donné. Selon la société de l’époque, elles séduiraient des hommes pour les inciter à commettre des péchés. Elles utilisaient donc les hommes grâce à leur charme sexuel pour les corrompre à des fins personnelles. Leurs pouvoirs maléfiques sexuels étaient considérés comme irrésistibles et ces hommes n’étaient donc plus responsables de leurs actions. Dans une société où la religion est omniprésente et où la sexualité est considérée comme un pêché, il est évident que cette créature mystique sensuelle ne faisait pas l’unanimité. La peur de cette sensualité féminine engendra donc une implication de l’État face à cette paranoïa collective. Que veut dire l’implication de l’État? En d’autres termes, la criminalisation de la sorcière. Quand on y pense, il est étonnant de prendre des mesures aussi drastiques contre un personnage inexistant, issu d’une peur irrationnelle. Dans un autre contexte, ce serait comme mettre des lois contre le bonhomme sept heure ou même le père noël. Le procès de Salem de 1692 est un excellent exemple où l’on sanctionne des femmes à cause d’une crainte face au surnaturel et à la déviation des normes sexuelles. Sur 200 personnes inculpées, il y aurait eu autour de 150 femmes, ce qui illustre que c’étaient majoritairement les femmes qui étaient visées. Celles qui étaient accusées d’être sorcière ou lié au diable lors du procès étaient entre autres suspectées de comportements séducteurs, d’actes sexuels qui ne respectaient pas les normes ou d’être impliquées dans des orgies nocturnes avec le diable. Ont peut donc voir, par la réprimande qui étaient faites aux femmes, la peur du pouvoir sensuel féminin et la volonté du patriarcat de punir toute femme qui ne respecte pas ce contrôle sur la sexualité féminine.
La travailleuse du sexe est-elle la sorcière des temps modernes?
Les traces de nos sociétés patriarcales antérieures ne se sont clairement pas disparues. La tendance de l’homme à vouloir exercer un contrôle sur le corps de la femme est un enjeu qui est encore très présent aujourd’hui. À titre d’exemple, il y a encore un débat en 2024 sur le droit à l’avortement aux États-Unis. Les USA étant nos voisins, on ne peut pas ignorer l’impact qu’a le patriarcat à ce jour. Ce désir de contrôle sur le corps de la femme ne s’applique pas seulement aux lois votées, mais aussi aux normes et aux valeurs de nos sociétés. Les tabous sexuels sont encore très présents, autant dû aux empreintes du patriarcat que de la domination religieuse. Il y a encore une peur de la femme assumée face à sa sensualité, sa sexualité et son émancipation. Ce type de femme défient le contrôle que l’homme et la société traditionnelle veulent exercer depuis si longtemps sur la femme.
La caricature de la femme épanouie est souvent associé à la prostitué. Pour plusieurs, la différenciation d’une femme assumée sexuellement versus une travailleuse du sexe est difficile à établir. Dans les deux cas, elles peuvent êtres considérés comme la sorcière des temps modernes, puisqu’elles ne reflètent point l’image d’une bonne femme selon l’inconscient collectif. La prostituée qui promeut son sexe en échange d’argent, qui utilise ce pouvoir sexuel pour ses gains personnelles confronte les lois morales. Ce n’est pas surprenant que l’homme est effrayé par celle-ci. Elle qui a su comprendre que la crainte du mâle face à la sexualité féminine était causé par son incapacité à résister à ses charmes. De plus, la travailleuse du sexe réussi à monnayer ce point faible masculin. L’homme est en effet incapable de se contrôler lui même et ressent donc le besoin de déplacer ce contrôle sur la femme. La projection de cette insécurité masculine sur la femme le déresponsabilise de toutes actions commises considérées comme immorales. La prostituée peut donc être comparée au personnage fictif créé par la peur de l’imagination collective qu’est la sorcière, puisque qu’elle défie les normes sociétales patriarcales face au contrôle de la sexualité féminine et reprend le contrôle de son corps. Une comparaison peut aussi être établi quant à l’intervention de l’État. La même peur du pouvoir féminin et de la non acceptation de l’assujettissement des femmes par le patriarcat a conduit à la criminalisation de la prostitution. La pénalisation judiciaire du travail du sexe implique non seulement que le patriarcat a encore une omniprésence dans nos sociétés, mais que la prostituée ne peut demander de l’aide dans des situations dangereuses. En effet, si l’escorte se retrouve dans une situation où il y a de la violence ou un danger présent, appeler la police sera son dernier recours.
Une travailleuse du sexe en Norvège
Non seulement elles seront arrêtées pour prostitution, mais elles seront aussi jugées et maltraitées. On condamnera ces femmes sous prétexte qu’elles l’avaient cherché en se mettant dans cette situation volontairement. L’homme, responsable des violences, aura des répercussions minimes comparé à la réelle victime. Tout comme les sorcières ont vécues une panoplie de violence (appuyé par l’État) sous prétexte que c’est mérité, les travailleuses du sexe vivront des injustices non reconnues. C’est sous le prétexte que l’homme serait victime des séductions féminines qu’il est capable de justifier le passage à l’acte de leur propres pulsions animales. Ils peuvent donc mettre la faute sur la vraie victime. En marginalisant la prostituée et en encourageant le discours que c’est un métier inacceptable, la société peut ainsi garder un contrôle sur la femme. On voit alors l’ampleur que peut prendre l’irrationalité de l’imaginaire collectif qui se perpétue encore dans nos sociétés modernes et les conséquences qu’elle apporte.

https://journalmetro.com/actualites/montreal/2785669/travailleuses-sexe-demandent-decriminalisation/
Les stéréotypes et les insultes
On peut aussi observer un parallèle entre les stéréotypes et les insultes qui tournent autour de la sorcière et de la travailleuse du sexe. Effectivement, il en fallait très peu pour qualifier une femme de sorcière. Suffise qu’elle s’expose a un jugement, allant d’une crise d’hystérie à un désaccord avec son mari, pour être placée dans la case « sorcière ». En général, les stéréotypes qui définissent une sorcière sont ceux qui vont permettre aux hommes d’éliminer toute forme de résistance à l’image de la femme pure. La femme que le patriarcat veut est celle qui, entre autre, ne réplique pas, ne questionne pas, est chaste et reste tranquille. En associant une délinquance de cette image à la sorcière, ils peuvent davantage marginaliser et même éliminer ces femmes de la société.
Les insultes sont une autre stratégie pour garder un contrôle sur la femme. Des mots tels que « salope, putain, tchoin, traînée, pute, garce, dévergondée, guidoune » sont utilisés pour rabaisser quelqu’un. Cela implique qu’une travailleuse du sexe est une personne sans valeur, qui ne vaut rien et qui ne mérite pas de respect. Ces insultes s’étendent aussi à toutes les femmes, car ce sont des clichés faciles à répéter pour dégrader une femme. Une seule rumeur (par exemple, à voir comment elle s’habille cette fille a sûrement couché avec tout le monde) peut marginaliser une personne, la rejeter du groupe et briser son estime de soi. Il y a ensuite une peur qui se construit chez les femmes, puisqu’elles ne veulent pas elles aussi être exclues de la majorité. Elles en viennent à se conformer à l’image de la femme souhaitée par les normes sociales pour éviter d’être jugées. Cette peur les amènent à devenir moins visibles, plus dociles, à se fondre dans le moule.
Références
http://fondationscelles.org/pdf/FACTS/06-Prostitution-egal-violence-pages90-96-RapportFACTS.pdf
https://femenrev.persee.fr/doc/sorci_0339-0705_1976_num_3_1_3659
https://en.wikipedia.org/wiki/Salem_witch_trials