Arcane
Arcane est une série d’animation créée par Christian Linke et Alex Yee dont la diffusion a commencé en novembre 2021. Basée sur le jeu vidéo League of Legends, la série explore les tensions entre Piltover et Zaun, deux villes situées au même endroit, la première riche et prospère, et la deuxième, confinée dans les souterrains, pauvre, insalubre et marquée par la criminalité. Après une première tentative de révolte de la part de Zaun quelques années avant le début de la série, les tensions reprennent de plus belle lorsqu’un scientifique de Piltover parvient à contrôler la magie au moyen de la science et qu’un homme d’affaires de Zaun met en marché une drogue dévastatrice, le shimmer. Si le conflit global de la série est politique, les personnages, leurs idéaux et leurs relations sont au centre de l’histoire, façonnent la société dans laquelle ils vivent et, ultimement, détermineront l’issue de la guerre qui s’annonce entre les deux villes.
Ekko
EKKO DANS ARCANE

Dans Arcane, Ekko, surnommé Little Man ou Boy Savior, est un natif de Zaun, ami d’enfance des protagonistes Vi et Jinx. On ne lui connait aucune famille. Enfant, il travaille comme assistant dans une boutique de prêteur sur gages. Après un événement conduisant le groupe d’amis à se séparer, Ekko devient le leader des Firelights, un groupe clandestin dont le but est de libérer Zaun du contrôle de Silco et de son shimmer ainsi que d’offrir un refuge à ceux et celles dont la vie a été détruite par le shimmer. Malgré son jeune âge, Ekko fait preuve d’une grande lucidité par rapport à sa situation sociale et politique. Plutôt que de se révolter face à l’oppression de Piltover, il cherche avant tout à protéger sa communauté.
Le refuge des Firelights se trouve dans un coin reculé de Zaun, autour d’un grand arbre, un des seuls dans Zaun, trouvé par Ekko. Constitué de maisons et de passerelles de bois peintes de couleurs vives, il contraste avec l’opulence et la richesse de Pilltover, mais aussi avec l’insalubrité et la noirceur de Zaun. Sur un mur, un graffiti représente toutes les personnes que les membres de la communauté ont perdu.

EKKO DANS LEAGUE OF LEGENDS

Dans le jeu vidéo, Ekko est également natif de Zaun. Il vit avec ses parents, qui travaillent comme ouvriers dans l’espoir que leur fils puisse un jour aller étudier à l’Académie de Piltover. Ekko, cependant, ne s’intéresse pas à Piltover et est fasciné par le potentiel et l’énergie de Zaun. Pendant ses journées, il se mêle aux lost children of Zaun, un groupe d’enfants orphelins ou fugueux voulant avant tout la liberté et le plaisir. Son seul intérêt réside dans Zaun, ses amis et sa famille, et il rejette ce qui est vu comme la réussite sociale classique (vivre à Piltover). Dans la série comme dans le jeu, Ekko est également un inventeur de génie, mais jamais ne désire demander de l’aide aux scientifiques de Piltover, ni ne songe à vendre ses inventions, les utilisant plutôt pour défendre sa ville et sa communauté
Misfit Toys
Chaque épisode de la série commence par une scène racontant le passé d’un des personnages principaux. Or, l’épisode 7, Boy Savior, débute par une séquence non narrative semblable davantage à un vidéoclip pour la chanson Misfit Toys de Pusha T et Mako dont l’animation, différente de celle du reste de la série, évoque les graffitis.
Si on assume que le « je » de la chanson correspond à Ekko et aux firelights, on peut affirmer qu’il s’agit d’un message de leur part à leurs oppresseurs : non seulement Piltover, mais aussi Silco (discours public – de l’opprimé à l’oppresseur – Ekko et les firelights ne dissimulent pas leurs intentions, ni leur présence – graffitis? ). La première ligne, « I declare war », donne le ton au reste de la chanson. Les menaces de violence perpétuées à l’encontre des oppresseurs (« I can get you kidnapped », « Time to dig up your grave », « Don’t make me ignore your existence », « Any disrespect met with a vengeance ») ne constituent pourtant qu’une petite portion des paroles et sont peu explicites. La chanson se concentre plutôt sur les injustices subies par les gens de Zaun, ici appelés « misfits ».


Note : Certaines analyses de paroles, telles qu’indiquées, proviennent du site Genius
Dynasties and dystopias
À la fin de l’épisode, Ekko se retrouve face à Jinx, son amie d’enfance, qui est passée sous le contrôle de Silco. Maintenant dans deux camps opposés, Ekko se retrouve forcé à se battre contre Jinx afin de l’empêcher de récupérer une arme dangereuse.
Si Dynasties and Dystopias porte tout de même quelques références politiques (« They laughing at the top like they can’t see the bottom »), la chanson réfère en grande partie à Zaun et au personnage de Jinx, contrairement à Misfit Toys, dont le message pourrait être appliqué à notre monde. Alors que Misfit Toys est agressive et bruyante, Dynasties and Dystopias est beaucoup plus joueuse, à l’image de la scène – le combat sur le pont entre Jinx et Ekko reflète un de leurs « combats » lorsqu’ils étaient enfants. On ne retrouve également pas le message envers l’oppresseur de Misfit Toys. Ici, Piltover est référée à la troisième personne (« And they thought i needed help but I got here without them »). La chanson emploie plutôt le « nous » (« We all sin », « we all win »), qui semble référer aux citoyens de Zaun. Lorsque la deuxième personne est employée, il est incertain à qui elle réfère. Dans le refrain (« Ooh, yeah, he mad »), on peut imaginer que le « he » puisse référer à Ekko, d’autant plus que cette partie est chantée par une voix féminine qui pourrait être Jinx. Bref, si la chanson fait tout de même référence au conflit entre Zaun et Piltover, le discours semble contenu entre les citoyens de Zaun (discours privé, de l’opprimé à l’opprimé). Le vidéoclip de Misfit Toys est destiné à celui qui le regarde. La scène de Dynasties and Dystopias est contenue entre les deux personnages qui la composent, tellement qu’on a presque l’impression de s’introduire de façon malsaine dans un moment aussi tragique.
La scène elle-même évoque la réalité des enfants et des adolescents de Zaun. L’enfance et les jeux de combats, ponctués par la musique, sont sans véritable enjeux. Le retour à la réalité, marqué par des couleurs sombres et l’absence de musique, illustre l’intrusion brusque de la violence dans la vie des enfants. Le combat qui se déroule dans le présent entre Jinx et Ekko n’est ni amusant ni fait par plaisir. Ekko et Jinx sont deux enfants ayant dû grandir trop vite, pris dans un conflit qui les dépasse.


Note : Certaines analyses de paroles, telles qu’indiquées, proviennent du site Genius
Résistance et communauté
LE TEXTE PUBLIC ET PRIVÉ DES FIRELIGHTS
James C. Scott :
- « Je pense ici à la performance publique imposée à tous ceux qui sont pris dans des formes élaborées et systématiques de domination sociale1 »
- Les firelights ne sont pas libérés de la contrainte de la performance. Lorsqu’ils sont en public, et face aux oppresseurs, que ce soit lors de leurs attaques ou dans le vidéoclip de Misfit Toys, ils sont sans cesse en train de performer – mais c’est une performance qu’ils choisissent.
- « À de rares, mais néanmoins non négligeables, exceptions près, la prudence, la crainte, ou le désir d’obtenir certaines faveurs vont modeler la performance publique du subordonné, afin de satisfaire les attentes du dominant2. »
- La performance n’est pas structurée pour se complaire aux attentes du dominant, mais pour le défier
Première apparition des firelights (Saison 1, épisode 4)
Résumé de la scène : Des Zaunites, sous les ordres de Silco, chargent un aircraft au port de Piltover de barils de shimmer, une drogue extrêmement addictive qui fait des ravages dans Zaun. Les firelights apparaissent, immobilisent leurs ennemis et commencent à mettre feu aux barils de shimmer.
On peut observer la présence des deux camps oppresseurs dans la scène : le camp de Silco et Piltover.
- La première apparition des firelights, dans une scène de combat, contraste avec le style de combat des autres camps – l’agressivité presque sauvage des gens de Zaun et le militarisme des soldats de Piltover.
- Provoquent la surprise chez les oppresseurs.
- Absence de crainte, sans témérité non-nécessaire : les firelights utilisent leurs planches pour se rapprocher de leurs adversaires sans se mettre en danger
- Mobilité vs immobilisation : si le texte public classique suppose une immobilisation des opprimés et une liberté de bouger des oppresseurs, les firelights renversent cette dynamique en immobilisant leurs oppresseurs et en faisant preuve d’une liberté de bouger bien plus grande grâce à leurs planches.
- Comme les artistes de hip hop, mais d’une façon différente, les firelights sont cools : leur entrée sur leurs planches volantes dans le silence, leur manière de se renverser pour se mettre à avancer, leur façon d’immobiliser leurs ennemis, leur style de combat, la panique qu’ils provoquent, leurs masques, leurs vêtements, leur façon de marcher et d’opérer.
- Cette façon d’être cool sans essayer, cette nonchalance, est également une façon utilisée par les opprimés pour défier les oppresseurs sans se mettre en danger. Elle communique un refus de se laisser abattre, de se laisser dominer, une liberté et une résolution trop intangibles pour être arrachées.
Misfit Toys
Bien que semblable à la première apparition des firelights, le vidéoclip de Misfit Toys communique une attitude différente, plus agressive. On peut attribuer cette agressivité à la qualité non-narrative de la scène : les firelights ne se trouvent pas directement face aux oppresseurs, dans une situation qui pourrait les mettre en danger. Le vidéoclip, tout comme la chanson, sont symboliques et servent à communiquer les idéaux des firelights. Si la scène analysée plus haut était une performance de leur part, le vidéoclip est un spectacle à l’intention des oppresseurs (comme le communique la première ligne de la chanson, « I declare war »). Ici, les firelights ne cherchent pas à fuir sur leurs planches; ils sont, au contraire, bien campés sur le sol. Ekko est assis lourdement sur une chaise, les autres membres posent à côté de lui, un homme soulève des poids. Ce faisant, ils affirment aux oppresseurs leur présence et leur résolution à continuer de se battre. Le vidéoclip commence d’ailleurs par un graffiti d’un sablier, le symbole des firelights. Le graffiti est l’un des signes utilisés par les firelights dans Zaun pour affirmer leur présence.
Toutefois, on peut observer un autre message, destiné aux opprimés de Zaun, dans les graffitis : si la présence des firelights est une menace pour les oppresseurs, elle est une source d’espoir pour les opprimés. Le seul moment du vidéoclip où on peut clairement reconnaitre Ekko est celui où, debout sur sa planche, il tient une lumière au-dessus de sa tête.
Le repaire des firelights (Saison 1, épisode 7)
Les firelights, lorsqu’ils sont chez eux et qu’ils ne sont pas soumis au regard de l’oppresseur, cessent de performer. On peut observer, lorsqu’ils sont entre eux, une joie de vivre, une confiance et une sérénité qui ne sont pas présentes autrement. L’assurance des firelights en combat contraste avec l’enfant qui tente de voler sur une planche et échoue. Un des personnages présents dans le vidéoclip est montré avec un enfant dans les bras. Ce n’est que loin de l’oppresseur, lorsqu’ils sont en sécurité, que les firelights peuvent éprouver librement des sentiments plus doux.
Jeff Chang : « Au cœur du débat était la sempiternelle interrogation afro-américaine : devons-nous lutter pour cette nation ou construire la nôtre? Devons-nous sauver l’Amérique ou nous-mêmes?3 »
Bien que la situation d’Arcane ne soit pas la même que celle des États-Unis, elle est suffisamment similaire pour que la même question se pose. Lutter pour la nation en en construisant une autre. La nation telle qu’elle existe est déjà trop instable, déjà trop brisée pour qu’on puisse continuer à tenter de reconstruire par dessus. Le seul moyen de se sauver est de prendre soin de sa communauté – on ne peut rien sauver si on ne sauve pas les gens près de nous. Alors que les autres personnages sont piégés entre Zaun et Piltover, entre le passé et le futur, Ekko est le seul qui agit concrètement pour le présent et pour les gens autour de lui.