« La vérité est que la guerre a aidé. La guerre a apporté beaucoup de chagrin et a rendu la vie très très dure. Beaucoup de chagrin, beaucoup de larmes. Mais avant la guerre, c’était encore plus difficile, car chacun était seul dans son chagrin »*

L’art est la manière qu’a créé les hommes pour exprimer des sentiments et émotions humains face à vie dans laquelle ils se sont retrouvés qu’ils l’auraient voulus ou non. Que ce soit des films tels que Titanic qui évoquent l’amour, les peintures telles que Le Cri illustrent la peur ou encore les musiques telles que la Symphonie Leningrad qui représentent la terreur, l’art est la manière de communication universelle des humains. À travers l’histoire, l’art a été utilisé comme un moyen de témoignages afin d’attirer la curiosité d’autrui envers le vécu de certaines personnes.

On pourrait, en l’occurrence, citer le Hip-Hop, un mouvement artistique naissant qui s’oppose à la violence faite envers une minorité ethniques (noire et latinos) dans le but de les assujettir. Un mouvement qui a vu le jour au sud du Bronx et qui se répandra, plus tard, à travers New York, à travers les États-Unis, puis le monde entier. La démocratisation du mouvement est une preuve concrète que cette nouvelle forme d’art a attisé la curiosité et la compassion d’autrui. Une population qui combat la violence à travers l’art, il n’y a pas plus humain comme réponse!

Il ne s’agit, en revanche, pas d’un cas unique. Je pourrais partager l’exemple de Dmitri Shostakovich, un compositeur de musique classique ayant fait carrière en plein milieu de l’union soviétique, une période très sombre de l’histoire. Tout comme le Hip-Hop, lui aussi a témoigné des émotions humaines lors d’une période difficile de la vie de millions de gens travers sa musique. Ainsi, la question se pose : quel serait un autre exemple de témoignages de violence ou de sentiments et d’émotions humains communiqués à travers l’art? Pour ce faire, j’analyserai en détail les contextes de composition de la septième symphonie de Shostakovich également connue sous le nom de la Symphonie Leningrad.

Je pense qu’il est important de débuter cette enquête avec l’histoire de cette œuvre monumentale. Le 8 septembre 1941, en pleine Seconde Guerre Mondiale, le siège de Leningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg) par l’Allemagne Nazi a débuté et dura près de neuf-cents jours enlevant, au passage, la vie de plus de six-cents-mille citoyens. Il s’agit d’un des sièges les plus meurtriers et longs de l’histoire. Au milieu de ce Leningrad détruite, affamée et malade, une œuvre profondément humaine voit le jour, Shostakovich vient tout juste de compléter sa septième symphonie en l’honneur du peuple assiégé de sa ville. Ce symbole de résilience et de résistance fondait une lueur d’espoir à la population tellement affaiblie de la ville par l’assujettissement. Selon les mots du compositeur, cette symphonie est un symbole de défiance au fascisme et au totalitarisme politique. Dès la publication de l’œuvre, celle-ci connaît une très grande popularité. Jamais une musique n’a été d’une telle profondeur racontant à la fois l’horreur vécu par les habitants de Leningrad, une résistance à l’Allemagne Nazi ainsi qu’à leurs idéologies, un message ciblée au monde extérieur dans le but de sensibiliser les gens à l’anéantissement d’une ville, mais également une lueur d’espoir pour Leningrad en ces temps difficiles, très difficiles.

À la première de l’œuvre en 1942 à Leningrad, les musiciens de l’orchestre étaient déjà tellement affaiblis qu’ils perdaient souvent connaissance. Plusieurs étaient même sur le point de mourir. Malgré un orchestre qui restait difficilement en vie, la première de l’œuvre fût un énorme succès. La salle de concert était absolument remplie et l’enregistrement était retransmis en direct au monde entier, même vers les troupes allemandes. Le public directement touché par l’œuvre, applaudit le concert pendant près d’une heure suite à l’interprétation de cette dernière. Le monde venait d’entendre et comprendre l’horreur vécue par les habitants de cette ville toujours assiégée.

Shostakovich, plusieurs années plus tard, avouera que l’œuvre ne faisait pas seulement référence au fascisme de l’Allemagne Nazi, mais également à quelque chose d’encore plus profond. Un sujet qu’on abordera plus tard dans l’enquête.

Sur une note d’avantage personnel, en novembre dernier, j’ai eu l’occasion d’assister à une interprétation de la symphonie en question par l’Orchestre Métropolitain dirigé par Yannick Nézet-Séguin à Montréal. Quatre-vingt minutes d’une musique représentant une pure terreur affecte grandement ses auditeurs même si ceux-ci ne connaissent pas exactement le contexte de l’œuvre. C’était une œuvre très humaine, même si je n’ai jamais connu de telles conditions, j’ai clairement entendu ce que le compositeur avait à dire : la famine, l’épuisement, la répression, les bombardements, la guerre, la violence et, bien évidemment, la peur. Telle qu’énuméré plus tôt, l’art est la manière de communication d’émotion et de sentiments universels entre humains. La Symphonie Leningrad sera pour toujours une des mes œuvres favorites.

Si vous ne l’avez pas déjà vu, il y a un rapprochement évident et passionnant entre la réponse de la minorité raciale (communauté noir et latinos) dans le Bronx face à l’assujettissement exercé par la majorité (blanche) et les autorités ainsi que la réponse des habitants russes de Leningrad face à l’assujettissement exercé par l’Allemagne Nazi. Ce sont, en effet, deux cas de répression différente, mais en même temps similaires, très similaires. Je m’explique.

Dans le Bronx dans les années 1970, un peuple soumis crée un nouveau mouvement sous forme d’art (sous forme de danse). Ce mouvement avait pour but de dénoncer l’assujettissement de ce peuple face aux autorités. Il s’agissait également d’une manière qu’avait ce peuple pour communiquer entre eux, de se comprendre, de témoigner leur expérience de soumission. Ainsi, ils se sont trouvé une nouvelle identité politique et sociale : le Hip-Hop. Cette nouvelle identité rassemblait les gens qui vivaient la même horreur; c’était une manière pour se soutenir entre eux face à l’oppression.

Dans le cas de Leningrad en 1941, on retrouve les mêmes motivations. Cette fois-ci, le peuple soumis crée un témoignage sous forme de musique, en l’occurrence, la Symphonie Leningrad. À travers la symphonie, on entend clairement le chagrin d’un peuple dominé par une idéologie politique totalitaire. Dans ce cas, on retrouve également une volonté à vouloir rester soudé malgré cette oppression. Une oppression que seuls les habitants de la ville assiégée connaissent. Une oppression qui crée des émotions fortes au sein de la population, des émotions qui se font partagées à travers la musique.

Comme dans le Bronx dans les années 1970, Shostakovich a utilisé l’art comme symbole de défiance contre la violence et l’autoritarisme. À travers l’art, ils reflètent l’évidence d’un peuple soumis à l’assujettissement, à travers l’art, ils expriment la condition de vie vécue et décrite par ce même peuple soumis, à travers l’art, ils dénoncent la vérité.

Il n’y a pas plus humain que de répondre à la violence, l’oppression et l’assujettissement par l’art. Un art qui soude un population faible face à une autorité.

Somme toute, outre que dans le Bronx dans les années 1970, il existe bien d’autres cas de peuple utilisant l’art comme symbole de défiance et de résilience envers une autorité abusive. Deux exemples totalement différents, mais en quelque sorte, très similaires.

Différents puisqu’il s’agit de lieux, de moments dans l’histoire, de sujet ainsi que de peuple soumis différents, mais tellement similaire dans la manière qu’ils ont employé pour répondre à une soumission et la motivation qui a poussé ces peuples à choisir cette manière de répondre en particulier. Parce que, après tout, nous sommes tous humains. Et parfois, certains d’entre nous oublient que nous sommes tous pareil…

Sur une autre note, souvenez-vous de la motivation plus profonde qu’avait Shostakovich à écrire sa symphonie? En réalité, voici ce qu’il avait à dire : « La Septième Symphonie avait été planifiée avant [même l’invasion de notre territoire] et, par conséquent, elle ne peut tout simplement pas être considérée comme une réaction à l’attaque [de l’Allemagne]. Je pensais à d’autres ennemis de l’humanité lorsque j’ai composé »*. Dans le feu de l’action, la septième symphonie sera dédiée au peuple de Leningrad. Elle critique ouvertement le nazisme et le totalitarisme. Mais elle critique également le socialisme et le communisme instauré dans l’union soviétique par Staline. Bien évidemment, avec le contexte politique de l’époque en Russie, Shostakovich ne pouvait partager la signification complète de sa symphonie sous peine d’exécution. Dans ce cas, les « autres ennemis de l’humanité » seraient tous simplement la répression et la privation de liberté.

À dire vrai, Shostakovich a dédié d’autres de ses symphonies à des vies humaines.

Outre sa Symphonie Leningrad (ou septième symphonie) qui représente le massacre de la population russe lors du siège de Leningrad, sa onzième et sa treizième symphonie (également connue sous les noms respectifs de Symphonie pour l’année 1917 et Symphonie Babi-Yar) illustrent également des tueries par le gouvernement russe de l’époque. La onzième symphonie fait référence aux pertes humaines lors de la Première Révolution Russe, et la treizième symphonie, quant à elle, fait référence aux abus du gouvernement envers la population juive présente sur le territoire russe. Shostakovich dira même que « la majorité de mes symphonies sont des tombeaux »*. Ces tragédies, sous forme d’art, resteront à tous jamais connu des humains.

*Toutes les citations de Shostakovich sont véridiques et issues d’un ouvrage intitulé Déposition : Les Mémoires de Shostakovich écrit par le musicologue Solomon Volkov lors d’une série d’entrevues avec le compositeur entre 1971 et 1974.

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