Quelques passages des textes lu pour l’enquête que j’ai trouvé particulièrement intéressant. Ce sont les mots directe des autrices vues en classe.

Sylvia fredirichi

  • Chasse aux sorcières et rationalisation capitaliste de la sexualité

La répulsion que la sexualité non-procréative commençait à inspirer transparaît bien dans le mythe de la vieille sorcière volant sur son balai, qui, tout comme les animaux sur lesquels elle voyageait aussi (chèvres, juments, chiens), était la projection d’un pénis en extension, symbole d’une luxure débridée. Cette imagerie trahit une nouvelle discipline sexuelle, qui déniait à la femme ‘’vieille et laide’’, ayant perdu sa fertilité, le droit à une vie sexuelle

Cc Mais la présence animale excessive dans la vie des sorcières suggère aussi que les femmes se trouvaient à un croisement (glissant) entre homme et animal, et non seulement la sexualité féminine, mais la féminité en tant que telle, était assimilable à l’animalité. Pour parfaire le tout, les sorcières étaient souvent accusées de changer de forme et de se transformer en animaux, le ‘’familier’’ le plus souvent cité étant le crapaud, qui, en tant que symbole du vagin, synthétise la sexualité, la bestialité, la féminité et le mal.

La chasse aux sorcières fut aussi le principal moyen d’une restructuration générale de la vie sexuelle qui, conformément à la nouvelle discipline du travail capitaliste, criminalisait toute activité sexuelle qui menaçait la procréation, la transmission de la propriété au sein de la famille, venait occuper le temps ou prendre de l’énergie destinés au travail.

Les procès de sorcières fournissent une liste instructive des formes de sexualité qui furent bannies comme ‘’non-productives’’ : l’homosexualité, le rapport sexuel entre personnes jeunes et âgées ou entre des gens de classes différentes, le coit anal, le coit par derrière (réputé amener des rapports stériles), la nudité et les danses. La sexualité publique et collective qui avait prévalu au Moyen Âge fut aussi prohibée, comme dans les fêtes du printemps aux origines paiennes qui, au XVIe siècle, étaient toujours célébrées dans toute l’Europe. […] De la célébration du premier mai en Angleterre, aux récits de sabbat habituels, qui accusent les sorcières de toujours danser dans ces réunions, de sauter en tout sens au son du pipeau et de la flute, et de s’adonner à force copulations et réjouissances collectives.

-Chasse aux sorcières, chasse aux femmes et accumulation du travail

La différence la plus importante entre hérésie et sorcellerie est que la sorcellerie était considérée comme un crime féminin. Cela fut particulièrement vrai à l’apogée de la persécution, entre 1550 et 1650. Dans une première période, les hommes représentaient jusqu’à 40 % des accusés et un plus petit nombre continua à être jugé ensuite, principalement des vagabonds, des mendiants, des travailleurs itinérants, des gitans et des prêtres de rand inférieur. Au XVIe siècle, les accusations de satanisme étaient devenues un thème commun dans les luttes politiques et religieuses

Mais le fait exceptionnel, c’est que plus de 80 % des personnes jugées et exécutées en Europe au XVIe et au XVIIe siècles pour des crimes de sorcellerie furent des femmes.

les accusations de perversion sexuelle ou d’infanticide jouaient un rôle central, étant accompagnées par la quasi-diabolisation des pratiques contraceptives.

pratiquer des avortements et d’appartenir à une secte infanticide qui tuait les enfants et les offrait au diable. Dans l’imaginaire populaire aussi, la sorcière fut associée à une femme âgée et lubrique, hostile à la vie nouvelle, qui se nourrissait de chair d’enfants ou utilisait leurs corps pour en faire des potions magiques, un stéréotype plus tard popularisé par les livres pour enfants.

pourquoi est-ce que la transgression sociale et religieuse se recentra de manière prédominante sur les crimes reproductifs?

MONA CHOLLET

(début lu sur mon téléphone)

UNE VICTIME DES MODERNES ET NON DES ANCIENS »

À vrai dire, c’est précisément parce que les chasses aux sorcières nous parlent de notre monde que nous avons d’excellentes raisons de ne pas les regarder en face. S’y risquer, c’est se confronter au visage le plus désespérant de l’humanité. Elles illustrent d’abord l’entêtement des sociétés à désigner régulièrement un bouc émissaire à leurs malheurs, et à s’enfermer dans une spirale d’irrationalité, inaccessibles à toute argumentation sensée, jusqu’à ce que l’accumulation des discours de haine et une hostilité devenue obsessionnelle justifient le passage à la violence physique, perçue comme une légitime défense du corps social. Elles illustrent, pour reprendre les mots de Françoise d’Eaubonne, la capacité humaine à « déchaîner un massacre par un raisonnement digne d’un aliéné ».[5] La diabolisation des femmes qualifiées de sorcières eut d’ailleurs beaucoup en commun avec l’antisémitisme. On parlait du « sabbat » ou de la « synagogue » des sorcières; on les soupçonnait, comme les juifs, de conspirer pour détruire la chrétienté et on les représentait, comme eux, avec le nez crochu. En 1618, un greffier qui s’ennuie lors d’une exécution près de Colmar dessine l’accusée dans la marge de son compte rendu : il la représente avec une coiffure traditionnelle juive, « à pendeloques, entourée d’étoiles de David ».[6]

Certaines accusées étaient à la fois des magiciennes et des guérisseuses; un mélange déconcertant à nos yeux, mais qui allait de soi à l’époque. Elles jetaient ou levaient des sorts, fournissaient des philtres et des potions, mais elles soignaient aussi les malades et les blessés, ou aidaient les femmes à accoucher. Elles représentaient le seul recours vers lequel le peuple pouvait se tourner et avaient toujours été des membres respectés de la communauté, jusqu’à ce qu’on assimile leurs activités à des agissements diaboliques. Plus largement, cependant, toute tête féminine qui dépassait pouvait susciter des vocations de chasseur de sorcières. Répondre à un voisin, parler haut, avoir un fort caractère ou une sexualité un peu trop libre, être une gêneuse d’une quelconque manière suffisait à vous mettre en danger. Dans une logique familière aux femmes de toutes les époques, chaque comportement et son contraire pouvaient se retourner contre vous : il était suspect de manquer la messe trop souvent, mais il était suspect aussi de ne jamais la manquer; suspect de se réunir régulièrement avec des amies, mais aussi de mener une vie trop solitaire[10]…

Qu’importe s’il s’agissait de femmes parfaitement inoffensives : leurs concitoyens étaient persuadés qu’elles détenaient un pouvoir de nuire sans limite. Dans La Tempête de Shakespear (1611), il est dit de l’esclave Caliban que sa mère « était une puissante sorcière », et François Guizot précisait à ce sujet dans sa traduction de 1864 : « Dans toutes les anciennes accusations de sorcellerie en Angleterre, on trouve constamment l’épithète strong associée au mot witch, comme une qualification spéciale et augmentative. Les tribunaux furent obligés de décider, contre l’opinion populaire, que le mot strong n’ajoutait rien à l’accusation. »

. Et, en effet, le récit des tortures est insoutenable; le corps désarticulé par l’estrapade, brûlé par des sièges en métal chauffé à blanc, les os des jambes brisés par les brodequins, Les démonologues recommandent de ne pas se laisser émouvoir par les larmes, attribuées à une ruse diabolique et forcément feintes. Les chasseurs de sorcières se montrent à la fois obsédés et terrifiés par la sexualité fémini8ne. Les interrogateurs demandent inlassablement aux accusées « comment était le pénis du Diable ». Le Marteau des sorcières affirme qu’elles ont le pouvoir de faire disparaître les sexes masculins et qu’elles en conservent des collections entières dans des boîtes ou dans des nids d’oiseau où ils frétillent désespérément

LE DÉSIR DE LA STÉRILITÉ

LE DERNIER BASTION DE LA « NATURE »

La procréation chez les couples hétérosexuels, et plus précisément la maternité, est le dernier domaine où, même chez les protagonistes, l’argument de la « nature », dont nous avons appris à nous méfier partout ailleurs, règne en maître. On sait que, au fil des siècles, les thèses les plus fantaisistes – et les plus oppressives – ont été justifiées par les preuves « évidentes et indiscutables » qu’était censée fournir l’observation de la « nature ». Gustave Le Bon affirmait par exemple en 1879 : « Les cerveaux de nombre de femmes sont plus rapprochés en taille de ceux des gorilles que des cerveaux mâles les plus développés. Cette infériorité est si évidente que nul ne peut la contester pour un moment; son degré seul vaut la peine d’être discuté[19]. Avec le recul, le caractère ridicule de ce genre de considérations nous apparaît clairement. Désormais, on évite de déduire d’une conformation physique un certain type de disposition, ou une injonction à un comportement déterminé. Dans les milieux progressistes, plus personne, par exemple, n’irait expliquer aux gays et aux lesbiennes que leurs pratiques sexuelles sont problématiques, qu’ils et elles désirent les mauvaises personnes et que leurs organes n’ont pas été conçus pour être utilisés de cette manière, « pardon mais vous avez mal lu le mode d’emploi, la nature dit que… ». En revanche, dès qu’il s’agit de femmes et de bébés, tout le monde se lâche : c’est la fête du slip de la nature – si j’ose dire.

Elles ont un utérus : c’est bien la preuve irréfutable qu’elles doivent faire des enfants, n’est-ce pas?

On continue à croire dur comme fer qu’elles sont programmées pour désirer être mères.

L’utérus sauteur a cédé la place dans les imaginaires à cet organe mystérieux appelé « horloge biologique »,

En outre, puisque leur corps offre aux femmes la possibilité de porter un enfant, la Nature veut également que ce soit à elles de changer les couches de ladite ou dudit enfant après sa naissance, de prendre les rendez-vous chez le pédiatre et aussi, tant qu’on y est, de laver le sol de la cuisine, de faire les lessives et de penser à racheter du papier hygiénique pendant les vingt-cinq années qui suivent. Cela s’appelle l’« instinct maternel ». Oui, la Nature commande très précisément cela, et pas, par exemple, que la société, pour les remercier d’assumer la plus grosse part dans la perpétuation de l’espèce, mette tout en œuvre pour compenser les inconvénients qui en découlent pour elles; mais alors pas du tout. Si vous avez compris cela, c’est que vous avez mal écouté la Nature.

L’IVRESSE DES CIMES

TOUJOURS DÉJÀ VIEILLES

ont fait émerger la question de l’âge dans le féminisme français[24]. Mais il faut aussi parler de ce sentiment d’obsolescence programmée, de cette hantise de la péremption qui marque toute l’existence des femmes et qui leur est propre

Pour une bonne part, la hantise de la péremption chez les femmes concerne leur capacité à enfanter, bien sûr. Et, à première vue, dans ce domaine, elle paraît justifiée par des données biologiques : de plus grandes difficultés à tomber enceinte après trente-cinq ans, de plus grands risques de malformation de l’enfant après quarante ans.

Ne se préoccuper que de l’âge de la mère revient à renforcer un modèle où la part éprouvante des soins et de l’éducation repose uniquement sur elle.

Enfin, l’idée, sans équivalent pour les hommes, selon laquelle on ne peut être réellement « femme » et épanouie que si on est mère engendre une pression supplémentaire, qui n’a rien de naturel.

Armelle Le Bras-Choppard

Les putains du Diable

Sur les cendres des bûchers, naissance de l’État moderne

Il faut donc que les femmes, en tant que telles, présentent un réel danger pour n’avoir d’autre solution que d’en supprimer un maximum. Et qui peut les faire disparaître légalement si ce n’est l’autorité légitime.

À l’Église de donner le coup d’envoi, elle qui entend contrôler l’ensemble de la vie civile, les relations entre les sexes, le comportement des femmes en particulier, et leur corps si enclin à la tentation

Les sorcières vont donc constituer un enjeu de pouvoir entre l’Église et l’État,

. R. Muchembled lie également le phénomène de la sorcellerie à l’émergence de l’autonomie de l’individu. C’est partiellement exact, à condition de préciser que c’est celle de l’individu-homme qu’il s’agit de promouvoir. L’État, qui se bâtira au masculin, doit d’abord, pour s’assurer la forme unisexe que nous lui connaissons encore largement aujourd’hui, enrayer toute possibilité de généralisation de l’autonomie et du pouvoir aux femmes. Nous verrons donc comment la sorcellerie répond à une peur, largement fantasmée, d’un pouvoir des femmes, puis comment, dans un jeu complexe entre l’Église et l’État, la répression des sorcières par les magistrats sert à asseoir la souveraineté étatique.

Le fantasme d’une monté en puissance des femmes

La crainte envers l’espèce féminine, que traduisent les procès de sorcières, est née d’une réalité diffuse et dont les hommes semblent prendre une conscience plus aiguë vers la fin du XVe siècle : la place grandissante des femmes dans l’espace social tout au long du Moyen Âge.

On pourrait croire que dans une société dirigée par les hommes, telle que la société féodale, le rôle des femmes devait être réduit; la réalité était sensiblement différente

la nature faible et passive de la femme, a succédé, dans les travaux les plus récents, une autre image de celle-ci : un être qui n’était ni sans défense ni sans pouvoir. S’il en était autrement, comment comprendre l’acharnement des hommes contre des créatures si inoffensives?

Au niveau le plus intime, les époux devraient se trouver aussi sur le même plan.

l’homme a droit au corps de la femme comme elle a droit à celui du mari :

La puissance diabolique de l’État

les sorcières; dans l’autre, la normalisation de la domination de toutes les femmes par le sexe fort

C’est la démarche politique et scientifique qui va triompher définitivement par la suite, reléguant la sorcellerie au rang des superstitions du passé :

afin que l’homme devienne « comme maître et possesseur de la nature », selon la formule de Descartes.

un homme est un être humain; une femme n’est pas un homme; donc une femme n’appartient pas à l’humanité, du moins pas tout à fait, donc ressort de cette nature à maîtriser. Le nouveau discours peut se situer sans problème dans la continuité des assertions misogynes multiséculaires et, entre autres, celle des démonologues

Cette incapacité qui place l’épouse sous « tutelle » avec « obéissance » au mari formalise un statut de la femme, dont nous avons noté la dégradation progressive depuis la fin du Moyen Âge. La grande hantise des hommes reste la liberté des femmes : il ne s’agit plus de brûler une bonne part de celles-ci comme au temps des sorcières, mais la loi, dès lors que l’État est en mesure, au nom de sa souveraineté, de la promulguer et de la faire appliquer, est un moyen qui permet de brider l’autonomie de toutes les femmes. Empêchées d’avoir un pouvoir réel, elles perdent cette puissance qu’en des temps d’incertitude sur leur identité les hommes leur avaient imaginée : les sorcières peuvent disparaître. Le balai qui leur servait à s’envoler du foyer sera désormais utilisé par les femmes… pour balayer, retrouvant une affectation qu’il n’aurait jamais dû perdre.

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