ENQUÊTE

À la suite du dernier cours de philosophie nommé « Étique et Politique », il a été possible d’établir quatre grandes conditions qui, au fils des années, ont su mener à l’instauration d’un système sociétaire permettant l’émergence d’une représentation féminine péjorative telle que le symbolise la sorcière, que celle-ci soit antique, contemporaine ou moderne. Parmi ce quatuor, deux causes ont principalement attiré mon attention, notamment celle du pouvoir imaginatif ainsi que celle mythologique. 

La première condition en est une anthropologique, il suffit de comprendre la puissance de l’imagination afin de percevoir le lien collatéral entre cette même condition et l’existence du phénomène de la sorcière dans la société occidentale comme orientale. En effet, tout ce que nous connaissons vient des sens, tels le toucher, le goût, l’ouïe, l’odorat et la vue ; c’est par le biais de ceux-ci qu’il reste possible, pour l’humain, de vivre différentes sensations et ainsi d’associer celles-ci à une véritable expérience humaine. L’imagination permet au cerveau de passer de la forme imaginaire à la réalité. De manière à comprendre l’affirmation suivante, il suffit de prendre l’exemple de la pomme : Si vous fermez vos yeux, vous imaginez que vous prenez une pomme et que vous croquez à l’intérieur, vous aurez automatiquement ce goût acide et sucré en bouche, vous pourrez également avoir la sensation de la texture lisse de ce fruit sur votre paume de main. Bien que vous laissez seulement vos facultés cognitives travailler et que vous n’expérimentez pas réellement ces sensations, vous serez capable de les vivre, de les ressentir et d’en subir les conséquences, et ce, par l’entremise de l’omnipotence de l’imagination. Par l’empire que possède l’imagination sur la réelle expérience humaine, il est possible de comprendre l’origine des mythes autour des sorcières. L’apport imaginatif vient drastiquement brouiller cette limite entre la réalité et les mythes en ce qui a trait à la figure de la sorcière et il devient alors difficile de dissocier ce qui est vrai et ce que l’on croit être vrai. Évidemment qu’il reste improbable d’apercevoir des femmes volantes créant des potions magiques et capturant d’inoffensifs enfants, toutefois, la figure de la femme mesquine motivée par ce désir d’ensorceler son entourage perdure à travers les années dans notre société. C’est à l’aide de cette nuance qu’il possible de comprendre que même si les sorcières n’existent pas telles qu’elles le sont présentées dans les livres de l’époque, l’imaginaire collectif en collaboration avec son pouvoir sur le cerveau humain a tout de même réussit à faire éclore une certaine peur en addition à une forme de méfiance envers certaines femmes, ces dernières se rapprochant étroitement de la caractérisation des sorcières. 

La prochaine condition est communément appelée la situation mythologique. Dans l’antiquité, un duo de représentation féminine fait son apparition, soit Médée et Circé. Dans l’objectif de comprendre le contexte sous lequel naît la figure de la sorcière et de saisir l’origine des caractéristiques généralement associées à celle-ci, il reste crucial d’analyser l’influence qu’aura ces deux femmes dans l’évolution de la vision sociétaire concernant la sorcière. Tout d’abord, Circé est perçue telle une véritable femme fatale, cette dernière représente la symbolique de l’amour, de la beauté, de la jeunesse, et de l’animalité. À l’inverse, Médée pourrait se caractériser comme une réelle figure de danger, de peur, d’étrangeté, de laideur et de vieillesse. La société de l’époque aurait alors fusionné les caractéristiques de Médée et Circé pour ainsi créer un modèle stéréotypé de ce qu’est la femme antique. Par conséquent, les femmes seront victimes d’une importante généralisation ; celles-ci peuvent représenter la beauté et la gentillesse de Circé, mais elles pourraient également se rapprocher davantage de l’aspect hideux et mesquin de Médée, il n’y a alors pas d’archétypes spécifiques auxquels la figure féminine pourrait s’identifier, les femmes seront toutes mises dans le même bateau. Cette vulgarisation drastique de ce que représente la femme mène à une forme de méfiance envers l’agente féminine. Cette confrontation se retrouvant à l’origine même de l’association entre ces deux magiciennes permet de comprendre l’origine du phénomène de la sorcière. En effet, la fusion des caractéristiques de Médée et de Circé orchestre la mise en place de la figure de la sorcière que nous connaissons aujourd’hui. En perpétuelle quête de la compréhension de l’influence du symbole de la sorcière, il serait possible d’établir un lien précis entre la dualité proposée par l’opposition entre Circé et Médée, et les doubles standards dont sont victimes les femmes aujourd’hui. Ces contradictions qui coexistent dans les normes sociales associées aux femmes, sont présentes, et ce, plus qu’on le croit. Voici quelques exemples :

  •  Les femmes ne peuvent pas être en surpoids, ceci est synonyme de paresse et de   lâcheté, toutefois, esthétiquement, il reste inacceptable que ces dernières soient trop minces. 
  • Les femmes doivent bien se présenter, être jolie et polie, mais attention! Il faut éviter de se retrouver dans l’extrême, ceci risque d’attirer trop de regard et de faire perdre le focus sur la réelle problématique. 
  • Les femmes doivent se réaliser par elle-même et apprendre à toucher au succès par leurs propres moyens, cependant, ces dernières ont la responsabilité de ne pas faire d’ombre à la réussite et à l’épanouissement masculin. 
  • La réputation d’une femme pourrait être grandement affectée par son nombre de partenaires sexuels/elles ; si ce dernier est trop élevé, la femme sera considérée telle une péripatéticienne, à l’inverse si le nombre est trop faible, l’individu pourrait se qualifier de femme prude et chaste.

L’opposition présentes dans ces standards est comparable avec la contradiction proposée par l’union entre les deux magiciennes de l’Antiquité.

Bien que celles-ci prennent aujourd’hui une tout autre forme, les sorcières existent. La question n’est pas si oui ou non ces femmes sont présentes dans la société mais bien comment elles le sont. Ces dernières caractérisent avec justesse le mouvement de la révolte féminine.

« Symbole subversif de la révolte féministe, la figure de la sorcière est de retour, prête à questionner nos choix, notre rapport au monde, à la nature, au corps, à la sexualité, à la rationalité… Et ce qu’elle a à nous apprendre peut changer notre vie ! Sage-femmes, guérisseuses, femmes de pouvoir… les sorcières ont osé défier l’ordre établi. Loin des clichés et du folklore, elles ont laissé en héritage un savoir riche et multiple : célébrer son corps et sa sensualité, se ressourcer dans la nature, utiliser les vertus des plantes, s’ouvrir à l’énergie et à l’intuition… ou autant de pistes pour toucher à la magie du féminin. »  – Auteur du roman Âme de sorcière ou pouvoir féminin, Odile Chabrillac

Il reste impossible d’avancer que la tradition associée aux sorcières n’a pas survécue au travers des siècles, au contraire : celle-ci s’est transformée, elle a connu une véritable évolution ainsi qu’une importante adaptation face aux enjeux sociaux, politiques, économiques, actuelles qui touchent et ce, directement ou de manière collatérale la cause féminine. Dans l’histoire, nous apprenons à découvrir les sorcières comme des véritables individus prônant un dialogue ainsi que des actions qui tendent vers la méchanceté, la mesquinerie et la manipulation subtile. Cette image davantage péjorative de la femme permet de comprendre avec convictions l’origine du désir d’anéantissement de celle-ci à l’aide de la fameuse chasse aux sorcières proposée lors de la période d’Inquisition. À l’époque, les sorcières, en plus de se faire reprocher une certaine non-conformité aux normes et aux règles établies par l’État souverainiste concernant ce qu’est une femme et qu’elle sa place dans la société, sont généralement négativement associées à la guérison, à la médecine, au monde miraculeux et à celui de la magie. Tel que mentionné précédemment, la volonté de dissimulation des femmes sorcières s’explique par cette méfiance qui découle de leurs revendications face aux archétypes et la structure féodale. Il reste également possible d’associer étroitement cette forme de peur à l’ignorance ; il suffit de se rappeler du pouvoir de l’imagination présenté ci-haut pour comprendre que la société de l’époque, par le biais de l’ignorance et de l’inconnu, face à cet univers féminin s’est elle-même fondée de manière imaginative une réelle peur en ce qui a trait aux sorcières. 

Les sorcières contemporaines pourraient se caractériser comme étant la réappropriation de l’histoire, de l’identité et de l’image de la femme. La présence de ces dernières dans l’actualité, nous rappelle qu’initialement, les femmes ont dû prendre part à une lutte perpétuelle en ce qui concerne les droits féminins. Les sorcières restent les premières à avoir initié ce mouvement de revendication : elles sont différentes, s’opposent à certaines conditions féminines, sortent du cadre préétabli, et par l’entremise de la « magie » et de la médecine, elles se retrouvent à réaliser de grands exploits. En se basant sur cette même définition, il est véridique d’affirmer l’existence des sorcières aujourd’hui ; celles-ci sont des femmes ne se pliant pas à certains stéréotypes imposés par la société, ces dernières ont pris possession de leur propre voix et viscéralement, elles désirent la faire entendre. Comme il s’est produit avec la société de l’époque face à l’image des sorcières, la figure féminine de la sorcière contemporaine ne se laisse pas intimider par la seule chose qui pourrait réellement la freiner soit ; la peur et l’ignorance. Elle fonce, elle ose, elle avance et magiquement elle fait évoluer la société. 

L’omniprésence des sorcières dans la réalité d’aujourd’hui est maintenant validée, cependant, serait-il possible d’affirmer que les femmes pourraient toutes, et ce, sans exception, s’identifier à travers l’image de la sorcière. Afin de répondre à cette question, il restera crucial de redéfinir ou de métaphoriser le concept de la magie, ainsi que d’analyser la cause féministe actuelle.

Sommes-nous toutes sorcières ?

Piste:

  • « Toutes les femmes sont des sorcières, dans le sens où les sorcières sont des êtres magiques, avec des pouvoirs inimaginables » – Yoko Ono, artiste pluridisciplinaire
  • Texte La puissance invaincue de la femme de Mona Chollet

ANAELLE 🙂

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