Sens figuré:
Pour pouvoir expliquer d’où vient la peur que possède la société face à la figure de la sorcière, il me semble intéressant de commencer par comprendre ce qu’est une sorcière, ce qui caractérise une femme de dangereux, puisque cette figure a une connotation fortement péjorative. La définition d’une sorcière va comme suit : « Une sorcière, ou magicienne, est une femme qui pratique la sorcellerie et la magie. Dans le monde occidental, la sorcière est longuement associée à une symbolique négative, au pouvoir de voler sur un balai, à sa fréquentation de sabbats, et à la chasse aux sorcières. » Penchons nous sur les trois points les plus importants qui la définissent : la pratique de la sorcellerie, la fréquentation de sabbats et la chasse aux sorcières.
Qu’est-ce que la sorcellerie? En tant que terme plutôt controversé, il existe plusieurs définitions et différentes idées qui s’opposent, souvent dépendantes au contexte dans lequel on les utilise. Généralement, la sorcellerie se cristallise comme un recourt aux surnaturels dont la pratique est vue de façon péjorative jusqu’à entrainer la chasse aux sorcières. Le terme devient politique et désigne un personnage incarnant la « diabolisation », donc qui expérimente les « vieilles coutumes » : les sages-femmes, les herboristes, les guérisseurs, les rhabilleurs, les tireurs de feu, les arts médicaux des druides et druidesses, les sourcières, les astrologues et les devins. En somme, toute personne qui s’exerce dans un art incompris par la société se voit attitré le pouvoir de la sorcellerie souvent illustré par des rites dit démoniaque et satanique.
Le sabbat des sorcières, parfois appelé la « synagogue des sorcières » ou « synagogue du diable », sert à cette fin. Décrit comme un assemblé nocturne où les sorcières se rassemblent pour mettre en place des rituels démoniques, le sabbat tire en réalité son nom de l’hébreu shābbath signifiant « s’arrêter, se reposer » employé par les juifs comme nom désignant le « septième jour de la semaine, temps de prière et de repos traditionnels religieux. » Même s’il ne possède aucun double sens, il est vite associé à une messe noire, un rite d’inversion intentionnellement mystique et sacrilège par les catholiques. On revient donc à l’ignorance et la peur de l’inconnu de l’Occident qui perçoit ces rites de diverses sectes ou religions étrangères comme synonyme de tapage et de désordre où des crimes prennent place. Le shabbat se réduit donc à une analogie antisémite commode pour les catholiques qui fantasmes sur cette fête hebdomadaire en la dénigrant comme quelque chose d’étrange et de méprisant pour eux.
Cette haine pousse à l’action et fait naître la chasse aux sorcières, un mouvement influencé par la persécution juives, une méthode de l’Inquisition (juridiction créée par l’Église catholique pour combattre ce qu’elle qualifiait d’hérésie; tous baptisés qui n’adhère pas aux dogmes de l’Église catholique) pour éradiquer les hérésies. Le summum du mouvement commencé au milieu du 15e siècle s’est vu dans le 16e avec une estimation de 60 000 sorcières exécutées3. Malheureusement, cette réalité reste dans l’actualité même de nos jours. Autour des années 2000, plusieurs pays africains attisés par la forte diffusion et dérives doctrinaires des églises pentecôtistes et des églises de réveil avaient recourt à la torture, au meurtre et à l’abandon d’enfant dès qu’on s’opposait à ses pratiques. Des milliers d’enfants ont été accusé et tué pour sorcellerie. En Arabie Saoudite, la pratique de la sorcellerie demeure punie par la peine de mort. Typique de la chasse aux sorcières, il est rare que les conséquences soient aussi simple qu’une mort rapide. Ces accusations se voit souvent objet de vengeance collective, de torture et de lynchage. Tout comportement suspect suivent un phénomène inexpliqué ou inexplicable est ciblé et redirige la haine et le chagrin vers une personne impuissante face au mouvement collectif, ce qui entraine un grand nombre de victimes innocentes à périrent gratuitement.
Sens propre:
La figure de la sorcière est une allégorie créée par les hommes pour justifier ses méfaits contre les femmes. Si on retourne en arrière de plusieurs siècles dans un temps où l’Église, nouvellement fondée, et l’État se battaient pour le pouvoir, les femmes se trouvent sur le même piédestal que les hommes. Le débat étant entre l’humain et le divin, il n’était pas encore question d’inégalité des sexes et des genres. Cependant, quand la force divine prend un coup critique dont elle ne se relève pas, la balance vacille. L’ère laïque domine de plus belle, mais ce n’est pas suffisant. Maintenant que l’humain prime, un modèle doit être établi afin que l’autorité règne. Ce modèle devient la figure paternelle, le père de famille.
De là naît le patriarcat, provocant l’assujettissement de la femme face à une structure politique fondée sur la lutte entre l’homme et la femme. Tout construit social se voit remanié, objectivant les femmes à toute vitesse. Le raisonnement devient une affaire masculine, que ce soit en politique, en science, en philosophie ou en art, les hommes ne prennent pas seulement le monopole, ils rejettent complètement l’idée que les femmes aient quelconque intelligence ou rationalité.
Grâce aux avancés scientifiques de Galilée et Descartes, l’humain se rapproche peu à peu de la domestication de la nature. Avancés auxquelles les femmes ne peuvent pas participer, puisque qu’elles “n’ont pas de raison”, forçant les sages-femmes à jeter toutes leurs connaissances aux oubliettes pendant que les hommes prétendent en savoir plus. Cela finit par poser un grave problème étant donné que les hommes, perdu dans leur quête de devenir les maîtres de la nature, associent les femmes à la catégorie naturelle, c’est-à-dire celle des objets. Objet sexuel, objet de reproduction, objet d’expérimentation, objet de dominance, objet de décoration, objet de beauté, objet de violence, etc. Distanciées de l’humain, les hommes oublient d’une rapidité presque incroyable qu’elles sont biologiquement leur miroir.
Extrait d’« Une chambre à soi » de Virginia Woolf :
« Si bien que chaque fois qu’il est question de sorcières, à qui on fit prendre un bain forcé, ou de femmes possédées par les démons, ou de rebouteuses qui vendirent des herbes, ou même d’un homme de talent dont la mère fut remarquable, je me dis que nous sommes sur la trace d’un romancier, d’un poète qui ne se révéla pas, de quelque Jane Austen, silencieuse et sans gloire, de quelque Emily Brontë qui se fit sauter la cervelle sur la lande, ou qui, rendue folle et torturée pas son propre génie, courut, le visage convulsé, pas les chemins. […] Mais ce qui me semble vrai, quand je pense à l’histoire de la sœur de Shakespeare, telle que je vous l’ai contée, c’est que n’importe quelle femme, née au XVIe siècle et magnifiquement doué, serait devenue folle, se serait tuée ou aurait terminé ses jours dans quelque chaumière éloignée de tout village, mi-sorcière, mi-magicienne, objet de crainte et dérision. Car point n’est besoin d’être grand psychologue pour se convaincre qu’une fille de génie, qui aurait tenté de se servir de son don poétique, aurait été à tel point contrecarrée par les autres, torturée et tiraillée en tous sens par ses propres instincts, qu’elle aurait perdu santé et raison. »