« Si nous ne parvenons pas à comprendre que la réalité de la vie est un agrégat des perceptions et de la nature de toutes les espèces, nous sommes condamnés, ainsi que la terre que déjà nous assassinons. » Jim Harrison

Les relations entre les Premières Nations et le reste du Canada sont pour le moins complexes. Avec son historique de profonde répression, de persécution, d’acculturation et d’assimilation débutant à la moitié du XIXe siècle, c’est sans surprise que le gouvernement fédéral souhaite racheter ses fautes auprès des Autochtones. Cependant, il est essentiel pour la population entière d’entreprendre ce travail de réparation afin de bâtir des relations saines basées sur le respect et la reconnaissance et de remplacer celles inspirées par la cohabitation forcée, la domination et la supériorité. C’est avec cet objectif qu’a été fondé, en 2008, la Commission de vérité et de réconciliation. J’aborderai dans ce texte la polémique entourant le terme de réconciliation sur le plan du sens et de l’étymologie. J’introduirai ensuite la notion de double réconciliation, regroupant ainsi Premières Nations et nature dans un ensemble de relations indissociables qu’il nous faut revoir pour progresser en société.

Tout d’abord, le terme réconciliation entraîne une certaine controverse quant à sa signification. Depuis la création de la Commission de vérité et de réconciliation, ce mot surgit à coup sûr dès qu’il est question des rapports entre le Canada et les peuples autochtones, sans qu’il soit accepté ou trouvé adéquat par tous les partis. Selon l’UNESCO, « La réconciliation consiste à établir et à maintenir une relation de respect réciproque entre les peuples autochtones et non autochtones dans ce pays. ».  Cependant, considérant tous les abus dont ont été victimes les peuples autochtones par leurs colonisateurs et par le gouvernement de ces-derniers, peut-on vraiment affirmer qu’une relation de respect réciproque est suffisante à la réconciliation? Il me semble clair que non. Après tout, « […] nos prétendues « Guerres indiennes » ont été au sens strict de simples conquêtes et opérations immobilières. Tous ces biens font l’objet d’une expropriation immédiate. » (Jim Harrison, 2022). Prenant donc en compte les pertes humaines, territoriales, culturelles et environnementales ainsi que la dégradation des conditions de vie, il m’apparaît évident qu’un simple respect réciproque ne parvienne pas à réconcilier. Le gouvernement du Canada, quant à lui, définit son idée de réconciliation comme un « renouvellement de la relation avec les Autochtones, une relation fondée sur la reconnaissance, le respect, la coopération et le partenariat. » Bien que ces valeurs et ces objectifs soient essentiels à l’amélioration des rapports entre Autochtones et allochtones,  ils sont tout autant insuffisants.

Adrienne Jérôme, la cheffe de la communauté de Lac-Simon, exprime elle aussi sont désaccord avec le terme réconciliation : « Pourquoi moi je devrais me réconcilier?, se demande-t-elle en entrevue téléphonique. C’est nous qui avons été bafoués. On nous a tout enlevé, on nous a enlevé notre dignité. » (Gabrielle Paul, 2021). En effet, le terme réconciliation implique un travail d’efforts et d’introspection pour pardonner et se faire pardonner. Il suppose donc que chaque camp à des torts dont il doit s’acquitter, ce qui n’est pas véridique pour le cas des peuples autochtones. Comme l’explique Viviane Michel, la présidente de Femmes autochtones du Québec, « Tant et aussi longtemps qu’il n’y aura pas de réparations, il n’y aura pas de réconciliation. » (Gabrielle Paul, 2021). Cette logique convient à tous les conflits ou l’un des partis a plus à se reprocher. On ne demanderait pas à une victime de se réconcilier avec son agresseur, alors pourquoi s’attendre à ce que les Autochtones pardonnent leurs colonisateurs sans réelle action de la part du gouvernement?

La connotation politique du mot réconciliation donne elle aussi lieu à la polémique autour de ce terme. Confronté au manque d’actions concrètes face à des problèmes dont la solution repose sur une volonté gouvernementale (l’accès à l’eau potable et à des produits abordables, la quantité et la qualité des écoles et des logements…), le terme réconciliation peut facilement passer comme une stratégie politique pour bien paraître, plutôt que venant d’un réel intérêt de réparation.

Finalement, les racines religieuses et chrétiennes de réconciliation soulèvent également des questionnements quant au choix de mot. L’utilisation première du terme était celle de la réconciliation de Dieu, à travers le Christ, avec tous les humains, auxquels Il pardonne toutes les fautes.  Un terme vague et ambigu aux racines étymologiques chrétiennes ne me semble pas être le meilleur pour qualifier une approche réparatrice avec les peuples autochtones, d’autant plus la tentative d’assimilation au christianisme de nos ancêtres.

Ensuite, non seulement le terme réconciliation est-il inadéquat, il est aussi insuffisant. Je pense qu’il est impossible d’envisager la réconciliation avec les peuples autochtones sans penser à notre réconciliation avec la nature (double réconciliation). La nature est, à mon avis, le dernier commun réunissant Autochtones et allochtones au Canada, et les deux groupes en ont pourtant une vision fondamentalement différente. On ne peut pas considérer le territoire comme un commun, puisque l’un des deux groupes en a été expulsé alors que l’autre se l’appropriait. De plus, la notion de propriété étant inexistante chez les nations autochtones, considérer le territoire comme un commun est impossible. Le gouvernement fédéral pourrait sembler être le commun le plus logique puisqu’il est responsable du Canada dans son entièreté, si l’on oublie son long historique de persécution et de négligence envers les peuples autochtones. La culture n’est pas non plus un commun envisageable, puisque les seules similarités sur ce point peuvent être expliquées par l’assimilation et l’acculturation, et non par un réel partage réciproque de culture.

La nature et l’environnement constituent donc tout ce qu’il nous reste comme commun, et allochtones et Autochtones en ont tous les deux une vision très divergente ainsi qu’une façon très différente de s’y situer. Pour les sociétés occidentales, la nature est depuis longtemps un moyen de s’enrichir, un ensemble de ressources exploitées à des fins capitalistes. L’idée que l’Homme est supérieur aux autres espèces et que celles-ci ont été créées pour subvenir à ses besoins est commune et répandue à travers la religion. Les exemples de ce manque de respect pour l’environnement et de ses conséquences sur la nature et les peuples autochtones sont innombrables. L’exploitation forestière a entraîné des coupes massives et non sélectives dans les réserves, alors que le développement hydroélectrique a causé un harnachement des rivières, une contamination de l’eau ainsi que de nombreuses inondations.

Les peuples autochtones, quant à eux, voient tout cela bien différemment. La vision circulaire est au centre de la philosophie amérindienne, impliquant que des relations unissent entre eux tous les êtres, vivants ou non, et que chacun de ceux-ci possède une âme. Comme l’explique Georges E. Sioui, philosophe de la nation des Wendats, « il n’y a pas de séparation entre sacré et profane, ni d’éléments permettant de légitimiser la domination des espèces par une d’entre elles qui serait supérieure aux autres. ». Ce mode de pensée circulaire est au cœur de l’animisme, une croyance religieuse et spirituelle adoptée par la plupart des cultures autochtones et par plusieurs peuples africains depuis des millénaires. Pour les peuples ayant cette croyance, le monde de la nature et celui des esprits et des ancêtres sont intimement liés, rapprochant encore davantage les animaux des humains. Selon Joséphine Bacon, une poète innue, l’humain n’est qu’une espèce parmi autres, les partageant avec ceux-ci un territoire et les ressources qu’il fournit. (Kim O’Bomsawin, 2020). Les humains entretiennent donc un lien de respect et de dépendance mutuelle avec le monde animal.

Je pense donc que la réconciliation des peuples allochtones avec la nature est primordiale à celle avec les peuples autochtones. L’environnement constitue le dernier commun nous regroupant, mais il joue un rôle plus culturellement et spirituellement important pour les Autochtones. À défaut de les avoir respectés dans le passé (Autochtones comme nature), je pense que le premier pas vers une véritable réconciliation serait d’essayer d’adopter, ou du moins de comprendre leur vision respectueuse de l’environnement qui les entoure.  

Pour conclure, je pense que le terme de réparation serait beaucoup plus approprié (et moins maladroit) pour parler de nos rapports et de ceux de notre gouvernement avec les Premières Nations. Ceux-ci pourraient être grandement améliorés par une réconciliation des allochtones avec la nature. Repenser notre vision de l’environnement, le commun le plus important, et accueillir les perspectives autochtones sur les enjeux y étant reliés me semble être un bon point de départ. En effet, il faudrait inclure davantage les communautés et groupes autochtones aux projets de biodiversité ou de législation environnementale, puisque leurs perspectives longtemps négligées se fondent sur des savoirs écologiques traditionnels, tels que la compréhension de l’évolution de l’abondance ou de la répartition d’une espèce sauvage au fil du temps.

BIBLIOGRAPHIE

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Corbin, J. (2022). Assurer la réconciliation avec les peuples autochtones grâce aux projets de biodiversité. Repéré le 13 décembre à https://www.wsp.com/fr-ca/insights/assurer-la-reconciliation-avec-les-peuples-autochtones-grace-aux-projets-de-biodiversite.  

Dupuis-Déri, F. & E. Sioui, G. (2000). L’Amérindien philosophe. Entrevue avec Georges E. Sioui. Revue Argument, 2(2). Repréré le 13 décembre à https://www.revueargument.ca/article/2000-03-01/117-lamerindien-philosophe-entrevue-avec-georges-e-sioui.html 

Gourdeau, C. (1996). Compte rendu de [SIOUI, Georges E., Les Wendats. Une civilisation méconnue (Québec, Presses de l’Université Laval, 1994), 369 p.] Revue d’histoire de l’Amérique française, 49(4), 592–594. Repréré le 13 décembre à https://doi.org/10.7202/305478ar  

 Paul, G. (2021). La réconciliation, un concept large aux définitions variables. Repéré le 14 décembre à https://ici.radio-canada.ca/espaces-autochtones/1802782/relation-gouvernements-autochtones-premieres-nations-leaders.

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