Quand j’étais au primaire, j’empruntais régulièrement l’Avenue du parc afin de me rendre à l’école. À chaque fois, je passais devant un groupe d’itinérants autochtones quêtant à l’intersection Milton / Du Parc. Je m’arrêtais quelques fois avec mon père afin de leur donner quelques sous avant de reprendre mon chemin. J’ai honte de l’admettre, mais à l’époque, en raison de mon ignorance concernant leur réalité, j’avais peur de rentrer en contact avec eux. Pourtant, même si j’entretenais une peur irrationnelle à leur égard, un élément dans leur apparence m’intriguait: leur sourire et leur gaieté de vivre et ce, malgré le fait qu’ils semblaient vivre dans des conditions misérables. Au fil de mes rencontres occasionnelles avec ces individus, je commençai à leur donner un sourire en retour. Je me souviendrai toujours de ces moments où nos regards se croisaient. Je me souviendrai toujours de ces sourires échangés, d’humain à humain. Même si nous vivions des réalités complètement différentes, le temps d’un instant, nous partagions une certaine complicité.

J’ai toujours démontré un grand intérêt concernant les enjeux en lien avec l’itinérance. Pendant de nombreuses années, je rêvais de devenir travailleuse sociale et de venir en aide aux plus démunis que moi. Mes proches peuvent en témoigner, j’ai toujours été extrêmement sensible et conscientisée par rapport à ce problème de société. Depuis que je suis jeune, je me suis promis de ne jamais ignorer l’existence d’un individu sans domicile fixe sur mon passage. Même si je n’ai pas toujours quelques pièces de monnaie en ma possession, je prends toujours le temps d’échanger un regard, un sourire, un simple «bonjour» avec l’être humain se trouvant devant moi.

Depuis quelques temps, je m’intéresse plus particulièrement aux enjeux autochtones. J’admire leur philosophie ainsi que leurs valeurs en lien avec la préservation et l’unicité de l’environnement. Je me demande régulièrement s’il serait possible de vivre en société comme autrefois, en adoptant un mode de vie nomade comme le prône les valeurs ancestrales des Premières Nations. Je suis convaincue que je serais plus heureuse en réelle connexion avec mon environnement comme les communautés autochtones le sont.

D’ailleurs, c’est en lisant Tiohtiá:ke de Michel Jean que je devins plus conscientisée par rapport au fléau de l’itinérance autochtone. Quand je croise des itinérants autochtones, je me demande souvent pourquoi autant d’individus issus des Premières Nations jonchent les trottoirs des rues montréalaises. Je me demande également comment se fait-il qu’ils se retrouvent à Montréal, loin de leur communauté et de leur terre ancestrale. Lors de mes recherches, j’ai décidé de répondre à la problématique suivante: Qu’est-ce qui explique non seulement le haut taux d’itinérance chez les Autochtones en milieu urbain, mais également les motivations poussant ces individus à venir s’établir en ville?

La réponse au traumatisme historique ainsi que le trauma intergénérationnel

Tout d’abord, un traumatisme d’ordre historique se caractérise par la transmission de génération en génération d’un ensemble de traumas découlant d’un passé d’oppression et d’assujettissement vécu par une communauté spécifique. Ces blessures à la fois psychologiques et physiques résultent des siècles de colonisation, de domination et d’exploitation que les populations autochtones ont subis. L’intégralité de ces traumas ainsi que leurs répercussions sur le bien-être global des nations autochtones se nomme «la réponse au traumatisme historique» (RTH). La RTH peut prendre la forme de pathologies mentales comme la dépression, l’anxiété, les comportements autodestructeurs, le syndrome de stress-postraumatique ainsi que la toxicomanie qui se développe lorsque certains individus se réfugient dans l’alcool afin d’atténuer leurs souffrances psychologiques. Le refoulement émotionnel ainsi que la difficulté à s’exprimer et à communiquer de manière saine ses émotions constituent également des symptômes reliés au traumatisme historique.

Même si l’époque des pensionnats autochtones semble révolue, ses impacts peuvent encore se faire ressentir chez les victimes de ces anciennes institutions étatiques ainsi que chez leurs enfants et leurs petits-enfants. En raison notamment de la ségrégation, du brain washing et de la rééducation forcée, du déplacement territorial et de la perte de son territoire, de la violence à caractère physique, psychologique ou sexuelle ainsi que de la dépossession de son identité, de sa culture et de son entourage, la globalité de ces concepts résulte en un traumatisme de masse se traduisant en diverses formes de réponses traumatiques. En conséquence, cet assujettissement entraîne de la violence chez certains individus, ce qui ne fait qu’alimenter l’hostilité et la toxicité au sein des foyers autochtones. Ce climat hostile résulte des dysfonctionnements familiaux, des abus de substances, des problèmes de santé mentale et physique et de la violence communautaire au sein des réserves. Ainsi, les enfants de ces victimes grandissent dans un milieu socio-économique extrêmement nocif. Ces enfants sont témoins durant leur enfance des comportements et des agissements toxiques de leurs parents. En considérant le fait que les premières années de vie sont cruciales au développement sain d’un individu, en baignant constamment dans un environnement calamiteux, les enfants souffrent de cette nocivité et peinent ainsi à s’épanouir au sein d’un milieu toxique et affaibli par l’ensemble des impacts de la colonisation sur les individus issus des Premières Nations. Les traumas se transmettent alors de génération en génération. En conséquence, ces traumas intergénérationnels ne font qu’alimenter la marginalisation des communautés autochtones ainsi que le cycle de la violence reliée à l’ensemble des impacts d’ordre économique, culturel, social, politique, psychologique et physique des siècles d’exploitation et de domination.

Montréal est-elle réellement symbole d’espoir?

Plusieurs facteurs doivent être pris en considération afin d’expliquer les motivations des populations issues des communautés autochtones de quitter les réserves du Grand Nord. Outre que la toxicité au sein des foyers autochtones, en raison des conditions de soins de santé absolument misérables et de moindre qualité, du faible accès à une éducation ou à un emploi stable et payant, de la crise du logement dans les réserves ainsi qu’aux conditions générales de vie ne permettant pas aux habitants un semblant de vie confortable, certains individus décident de quitter leurs terres natales afin de se rendre en milieux urbains, plus précisément à Montréal. Ils désirent fuir leur quotidien insoutenable en prenant le risque de venir s’établir en ville. Afin de parvenir à la métropole en partant du Grand Nord, le seul moyen de transport possible est l’avion. Cependant, en considérant non seulement le haut coût de la vie au sein de ce territoire, peu de gens possèdent les moyens afin de se permettre de se procurer un billet d’avion. Lorsqu’il est question de soins de santé, l’État paye pour les services ainsi que le transport.

En arrivant en sol montréalais, les individus issus des Premières Nations sont souvent désorientés et éprouvent de la difficulté à s’adapter aux conditions urbaines. Ils se retrouvent alors encore plus isolés et marginalisés qu’au sein de leurs terres natales. En raison du racisme, de l’exclusion sociale, de la difficulté d’accès au logement, de la maladie mentale, des défis financiers, du bouleversement culturel et social ainsi que le choc identitaire relié à l’inconnu et le manque de repères, ces autochtones se retrouvent bien trop souvent à la rue, dans des conditions misérables pires que dans les réserves. D’ailleurs, selon certains chercheurs et activistes se penchant sur la question des enjeux autochtones, ceux-ci affirment que les conditions d’hygiène au coeur des logements des réserves sont exécrables à un point où il serait juste de considérer que la vie dans ces demeures représente une forme d’itinérance. De plus, obtenir un billet d’avion afin de retourner sur son territoire d’origine n’est pas une tâche facile. En raison de son coût, certains individus préfèrent demeurer à Montréal. Par ailleurs, la vie dans la métropole est parfois meilleure que dans les réserves…

D’autre part, selon l’Observatoire canadien sur l’itinérance, «l’itinérance chez les personnes autochtones découle du traumatisme historique, de l’oppression, du racisme et de la discrimination. On pourrait soutenir qu’elle devrait être considérée comme une conséquence de la colonisation et de l’exploitation qui a résulté de la conquête de l’Amérique du Nord par l’Europe.»1 En d’autres mots: «l’itinérance devrait être vue comme le symptôme de souffrances sociales causées par des insuffisances sociétales et plus spécialement dans le cas des Autochtones, par la continuation d’une oppression aux racines historiques.»2

Comparativement aux allochtones, il est beaucoup plus difficile pour ces gens d’obtenir des services de qualité – et de base – en raison de leur origine ethnique. De plus, en considérant la discrimination qu’ils subissent ainsi que l’intégralité des traumas d’ordre historique reliée à la domination des Blancs sur les Autochtones, ceux-ci ont développé une méfiance à notre égard, ce qui explique pourquoi certains itinérants issus des Premières Nations sont réticents à l’idée d’obtenir de l’aide des refuges ou des institutions dédiées à leurs communautés dans la métropole. Afin de contrer la solitude, les itinérants autochtones se regroupent souvent entre eux. Ils tissent ainsi des liens de communautés forts, comme ceux au coeur des réserves.

Des données de 2015 révèlent que les Autochtones représentent 10% des itinérants en sol montréalais alors qu’ils ne représentent que 0,6% de la population globale de la métropole. D’ailleurs, cette population autochtone et itinérante est constituée de plus de 40% d’Inuits3. Ces Inuits sont originaires du Nunavik, une région au Grand Nord du Québec comportant entre autres la ville de Kuujjuaq, d’Inukjuak et de Puvirnituq. En 2012, ils étaient approximativement 1100 itinérants inuits au coeur de Montréal, soit 10% de la population totale inuite du Nunavik. En outre, on estime qu’une personne autochtone sur 15 vivant dans un milieu urbain est itinérante, contre une sur 128 pour la population générale.4 Ainsi, un individu issus des communautés autochtones est huit fois plus à risque de se retrouver à la rue qu’un individu allochtone.

Il y a-t-il une lueur d’espoir?

La condition féminine dans la rue comporte beaucoup plus de dangers que celle des hommes. De plus, l’intersectionnalité des oppressions vécues par les femmes autochtones et itinérantes contribuent à leur marginalisation et à leurs difficultés d’intégration en milieu urbain. Afin de combattre l’itinérance au sein de cette communauté, il existe plusieurs établissements et associations dans la métropole qui donnent accès à un refuge pour les femmes autochtones sans domicile fixe comme le foyer pour femmes autochtones de Montréal.

Il existe également des refuges autant pour les hommes que pour les femmes autochtones comme la Maison PAQ. En plus de fournir des logements pour les itinérants issus des Premières Nations, cet établissement offre également des services spécifiques en santé mentale ainsi qu’en gestion de la toxicomanie.

Même s’il n’existe pas de solution miracle afin d’abolir l’itinérance au sein de ces communautés, autres que l’accès aux refuges temporaires, des alternatives peuvent être envisager afin de lutter contre cet enjeu. D’abord, en éliminant les problèmes reliés à la communication entre les réseaux de services spécialisés pour les Autochtones, il serait possible d’assurer une interconnexion dans la prestation de ces services et d’ainsi permettre aux Autochtones d’obtenir l’aide dont ils ont spécifiquement besoin. En effet, en favorisant les échanges entre les services hospitaliers, les services d’hébergement ainsi que les services sociaux, il serait beaucoup plus facile d’aider convenablement les individus issus des Premières Nations à s’adapter à leur nouvel environnement urbain.

De plus, il serait intéressant d’entreprendre des campagnes de sensibilisation sur les enjeux autochtones afin de faire prendre conscience à la population de leurs défis et d’ainsi être davantage en mesure de comprendre leur réalité pour pouvoir les aider à s’établir correctement. En sensibilisant les citoyens, il serait également possible de lutter contre le racisme, car cette animosité envers les Premières Nations provient bien souvent d’un manque de connaissances ou d’une peur irrationnelle. En outre, en offrant de meilleurs services en santé mentale pour les Autochtones permettrait potentiellement d’anéantir le cycle des traumatismes intergénérationnels et d’ainsi aider ceux-ci à surpasser leur passé douloureux et souffrant. Si les individus issus des Premières Nations possédaient des ressources efficaces et adaptées à leurs besoins, il est évident que l’itinérance autochtone diminuerait drastiquement. D’ailleurs, l’institutionnalisation de l’assujettissement des communautés autochtones freinent les tentatives de réconciliation et de réparation avec celles-ci. En effet, la loi sur les Indiens empêche les Autochtones d’acquérir leur indépendance vis-à-vis l’État. En interdisant aux individus issus des Premières Nations de pratiquer leurs traditions ancestrales, comme la chasse et la pêche, ceux-ci sont dans l’obligation de se retourner vers le gouvernement afin de subvenir à leurs besoins de base et de tout simplement réussir à survivre dans ce monde inadapté à leurs valeurs. Par ailleurs, la perte de savoirs ancestraux contribuent directement à la dépossession de leur culture et de leur autodétermination.

Afin de combattre l’itinérance chez les communautés autochtones, il faut d’abord s’attaquer à la racine du problème, c’est-à-dire la dépossession de leur identité, de leur culture et de leur territoire. D’abord, en gardant en place la loi sur les Indiens, l’assujettissement des Autochtones persistera. Je crois personnellement qu’il faudrait l’abolir, ou du moins, la réformer afin que le gouvernement canadien reconnaisse désormais le caractère de société distincte des communautés autochtones. Cela permettrait ainsi à celles-ci de reprendre possession de leurs droits et de potentiellement assurer leur autodétermination au sein du Canada. En prenant compte des éventuels dommages collatéraux reliés aux changements climatiques, en tant que société, nous devons redéfinir notre vision du monde, et plus particulièrement celle concernant les ressources et le territoire. Nous ne pouvons plus nous permettre d’exploiter et de s’approprier notre environnement : nous devons reconstruire non seulement notre relation au territoire et donc au principe de partage, mais également celle que nous entretenons avec les Premières Nations. Pour une vraie réconciliation entre les Canadiens et les Autochtones, nous devons faire des compromis. Il faut aller à la rencontre de l’autre, favoriser un esprit de collaboration, d’écoute et d’ouverture d’esprit face aux différences de valeurs. La réconciliation passe avant tout par la reconnaissance de l’intégrité de l’autre et de son unicité.

  1. Observatoire canadien sur l’itinérance, repéré à https://www.rondpointdelitinerance.ca/solutions/peuples-autochtones#:~:text=L’itin%C3%A9rance%20chez%20les%20personnes,du%20Nord%20par%20l’Europe. ↩︎
  2. Patrick Caryl, (2015), L’itinérance autochtone au Canada, Le rond-point de l’itinérance, repéré à ↩︎
  3. Anne-Marie Turcotte, (2015), Les Autochtones en situation d’itinérance, repéré à https://www.homelesshub.ca/sites/default/files/attachments-fr/L%27itine%CC%81rance%20autochtone%20au%20Canada.pdf https://www.mmfim.ca/wp-content/uploads/2016/12/AM.Turcotte-Itinerance-autochtones-Qc.pdf ↩︎
  4. Julie Cunningham, (30 avril 2018), Étude de cas contextualisée des trajectoires et perspectives de femmes autochtones ayant vécu l’itinérance à Montréal et à Val-d’Or, Université de Montréal, repéré à https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/20752/Cunningham_Julie_2018_these.pdf?sequence=2 ↩︎

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