Quand j’étais petit et qu’il était temps de choisir un costume pour Halloween, mes choix étaient très simples : Ou bien j’étais Batman, ou bien je me déguisais en monstre. Dans le second cas, j’ai passé de Frankenstein au vampire, du loup-garou au fantôme… mais je n’ai jamais été sorcier…parce que pour moi à l’époque, les sorcières ça pouvait juste être des filles. Et pas seulement des filles mais toujours des méchantes dames, les pires de tous. Pourtant, je ne savais pas pourquoi et c’était l’image que je me faisait. Mais comment se fait-il qu’on puisse tirer une conclusion pareil venant d’un enfant? Est-ce que c’était par une imagination trop débordante? En partie. Mais est-ce surtout une association faite en lien avec quelque chose d’encré plus profondément dans notre mémoire collective, qui influence encore aujourd’hui le rôle culturel de la sorcière et sur un plan plus large, celui de la femme?

On ne peut parler de la sorcière moderne sans parler de l’inquisition et plus particulièrement de la chasse aux sorcières. À l’origine du phénomène, on peut pointer une personne en particulier comme responsable. Un homme de foie allemand dénommé Heinrich Kramer (1430-1505). En 1487, il publie un livre intitulé Malleus Maleficarum, qu’on peut traduire par Le marteau des sorcières. Il décrit dans ce livre tous ce que l’on peut reconnaître du myth de la sorcière: une personne, plus souvent une femme, qui offre son corps et son âme à Satan en échange de pouvoir surnaturel et qui pose des actes cruels pour servir son seigneur sombre, etc. Il écrit aussi que Dieu, dans sa grande volonté de liberté, laisse le choix conscient de pratiquer la magie noire et ce même si cela signifie l’Enfer. Dans la même logique, si l’on est capable de tuer ce qui est considéré comme damné par Dieu lui-même, cela signifie-t-il un billet direct pour le paradis?

Suite à la publication du Malleus Maleficarum, un vent de terreur emporte l’Europe. Bientôt, le crime de sorcellerie et considéré comme crime d’hérésie et quiconque est jugé coupable est puni à mort. La plupart des confessions se font après de longues périodes de tortures, certains croyant avoir droit à une redemption qu’ils n’auront jamais, d’autre préférant mourir que de souffrir. On compte aujourd’hui 40 000 à 100 000 victimes de la chasse. Mais dans ce nombre, il y a un hic. Seulement 20% des victimes sont des hommes. Le reste…vous vous en doutez bien.

Dans son ouvrage, Kramer décrit la femme comme très dangereuse comparativement à l’homme. Il observe que la sorcellerie est transmissible par la parole et l’influence et que les femmes, si elles ont accès à un cercle sociale, parleront beaucoup plus que les hommes et sont naturellement plus influentes. En d’autre mots, selon Kramer, une femme ne devrait pas avoir d’amis et possède un corps trop « tentant », donc il faut lui refuser sa liberté sexuelle. Le livre est bourré de propos misogynes de la sorte, beaucoup pires que cet exemple. Kramer était particulièrement sexiste à une époque où tous étaient sexistes… Et le vitriole qu’avait Kramer envers les femmes s’est propagé comme un incendie; Malleus Maleficarum devint le deuxième livre le plus vendu de son époque après la Bible.

Avant Kramer, la sorcellerie était vu comme une pratique païenne et non satanique. Et la plupart des pratiquants étaient en fait des pratiquantes. Les femmes avait la main-mise sur ce mode de vie et surtout sur la médecine. Une hypothèse qui vient en tête est que l’inquisition était un moyen pour l’Église, dirigé par des hommes, d’avoir le contrôle sur la médecine et de pouvoir en tirer profit. D’ailleurs, être chasseurs de sorcières, bourreaux ou juges sont devenus des emplois très convoités et demandés après le début de l’inquisition, créant une montée de l’économie et possiblement une partie de l’origine au capitalisme européen.

Quant à aujourd’hui, que reste-t-il de l’inquisition et de l’image de la sorcière de l’époque? La chasse s’est terminé autour du XVIIIe siècle mais ses effets se ressentent encore. L’intérêt de représenter les sorcières, même dans la volonté de dénoncer le génocide, a pris d’emblée le monde entier et partout une image revenait; celle de la sorcière chrétienne, avec son familier, vénérant Satan et jetant des sorts diaboliques. Un exemple fulgurant sont les peintures du peintre espagnol Francisco Goya (1748-1828), datant de la fin du XVIIIe siècle, cents ans après la fin de l’inquisition, où il représente les sorcières dans des scénarios sombres et cauchemardesques. Finalement, comme avec tous les myths, la propagation de rumeurs et d’imageries est ce qui fait perdurer celui de la sorcière et de la mentalité misogyne se trouvant derrière. La culpabilité que l’on donne au femme lorsqu’elle sorte pour une soirée entre fille ou lorsqu’elle portent des vêtements jugés trop «révélateurs» remontent à cela. Les sorcières sont tout simplement les femmes libres qui sont devenues le bouc émissaire ultime. Les sorcières… c’est juste des filles.

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