Le procès de Socrate s’achève, ce dernier est condamné à boire la ciguё[1]. Au début de ce jugement, Socrate apporte d’assez bons arguments, mais lors du moment venu de définir sa peine, Socrate se moque presque des juges en leur demandant de recevoir à la place tous les louanges que l’on faisait aux athlètes vainqueurs de jeux sportifs, être logé et nourri par le peuple sur la colline du Pnyx. Cela lui voudra la peine de mort. Mais alors, qu’est ce que ce procès vient apporter à notre enquête sur les sorcières me diriez-vous? Et bien, il se trouve que plusieurs sujets abordés durant le cours peuvent facilement être abordés dans le procès de Socrate.
Tout d’abord, sur la question des communs, Socrate se trouve être un ennemi de ce bien unissant tout le peuple d’Athènes. Sorte de culture commune, la polis grecque agit en quelque façons comme un commun. Elle a ses dieux, ses traditions, bref tous s’y rapportent et forment pour les habitants un commun, tel que défini dans notre cours. Bien que la notion de commun peut être nuancée dans ce cas là[2], il reste que l’on accuse Socrate de le mettre en péril. Nous verrons aussi le rôle dont l’idéalisation a eu dans ce procès et bien sûr, rattacher tout cela au cadre du cours, les sorcières.
« Socrate […] est coupable de corrompre la jeunesse et de ne reconnaître non pas les dieux que la cité reconnaît, mais, au lieu de ceux-là, des divinités nouvelles. »[3] L’acte d’accusation est clair et comporte donc deux éléments: corrompre la jeunesse et ne pas reconnaître les divinités de la cité.
La première accusation se ramène au fait que la plupart des soi-disant sages, orateurs ou autres personnes influentes pensaient que la philosophie de Socrate n’était qu’un outil permettant d’humilier publiquement ces derniers. Or, Socrate avoue que des jeunes utilisent sa méthode dans le but d’humilier mais lui, pense que c’est une mission divine.[4] La partie de ce point qui nous intéresse le plus est cependant les mots utilisés pour évoquer le savoir que Socrate donnait à ces jeunes. Socrate apprendrait des sortilèges à ces élèves.[5] Cela pose beaucoup de questions: Comment se fait-il que Socrate a aujourd’hui comme image une figure légendaire de la philosophie et que les sorcières,[6] elles, étaient vues il y a peu de temps unanimement comme le mal incarné. Il existe deux simples différences entre ces deux figures: l’un est un homme qui met en péril aux yeux des juges le commun des Athéniens, sa culture, et l’autre des femmes, qui elles représentent elles-mêmes un commun!
Le deuxième point concerne le fait qu’il croit en d’autres dieux que ceux de la cité. La réalité est que l’accusation cache quelque chose de plus profond. On le sait maintenant, les Grecs « empruntent » des divinités aux autres cultures, donc Socrate ne fait là rien de mal. De plus, il prouvera qu’il croit en les dieux athéniens puisqu’il croit aux démons[7]. En réalité, plusieurs historiens s’accordent pour dire qu’aux yeux des Athéniens, les actions de Socrate s’attaquent aux valeurs de la cité, de la culture, en quelque sorte, au commun.[8] Cependant, le problème est l’acte d’accusation, on le reproche de ne pas croire aux dieux, ce à quoi la plupart se font une idée de Socrate.
[1] Sorte de boisson empoisonnée, qui gèle tranquillement du bas au haut du corps jusqu’à en tuer celui qui la boit.
[2] En effet, ferait-ce donc de toutes les cultures un commun? La notion de polis est cependant différente de celle de culture, de nation ou d’état.
[3] Apologie de Socrate, 24bc, Flammarion, 1997.
[4] Ibid, 21a
[5] Je n’ai pas encore lu le Charmide, cependant les notes du Phédon indiquent que dans l’ouvrage cité en premier lieu, Socrate affirme lui-même avoir appris des sorts. D’autres passages du Théétète et de Apologie de Socrate, affirment pareillement, bien que dans Apologie de Socrate, ce soit exceptionnellement ses accusateurs qui lui confèrent ses pouvoirs.
[6] Phédon, 77e, Flammarion, 1991. On mentionne des sorcières dans ce passage des sorcières, les Mormolukè. Simples utilisatrices de sorts, elles n’ont pas encore la connotation que l’Église viendra leur donner.
[7] Il dira à plusieurs reprises qu’un démon, ou voix intérieur, lui communique de temps à autre pour prendre des actions. On le voit cité dans l’Alcibiade et dans Apologie de Socrate.
[8] La polis n’est pas juste la partie territoriale d’une cité, c’est aussi ses mœurs, sa culture, ses traditions et ses dieux.