Vincent St-Germain
Est-ce que le hip-hop a perdu ses racines?
Le monde du Hip-Hop est profondément ancré dans les luttes de pouvoir entre dominants et dominés.
Selon l’auteur James C Scott, les groupes dominés ont développé, au fil du temps, des rituels et des activités dont le but est d’insulter et de se faire insulter par son adversaire sans que les deux parties aient recours à la violence physique. La raison menant à ces exercices est que les dominés ne peuvent pas s’offrir le luxe d’un affrontement direct contre le pouvoir en place1. Il est possible de tracer de nombreux liens entre ces joutes verbales dentant et les fameuses batailles de rap qui ont émergé aux alentours des années 80.
Premièrement, les batailles de rap avaient majoritairement lieux aux seins de communauté afro-américaines. Je ne risque de surprendre personne en disant que l’histoire de ce peuple a fortement été marqué par des relations subordonnés-subordonnant (relations maître-esclave) et que les afro-américains ont, pendant très longtemps, occupé la position de subordonné.
Deuxièmement, ces batailles de rap étaient majoritairement composées d’insultes lancées en direction de l’adversaire ou de son cercle social (famille, amis, etc.). Une multitude d’exemples peuvent être trouvées dans la bataille entre Kool Moe Dee et Busy Bee en 1981 : « If you was money, man, you’d be counterfeit ».2
La musique issue du milieux Hip-Hop a toujours été un médium de choix pour propager un message politique sans risque de représailles de la part du pouvoir dominant. La chanson Fight the Power du groupe Public Enemy et la chanson Fuck tha Police du groupe NWA illustrent parfaitement ce fait. Dans ces deux œuvres, il est possible de déceler une forte animosité envers les forces de l’ordre. Un affrontement direct avec la police résulterait, probablement, par la mort ou l’incarcération du groupe dominé.
Toujours selon James C Scott, la dissimulation d’un message politique a souvent été utilisé par les dominés lors des luttes de pouvoir. Scott mentionne trois trucs facilitant cette dissimulation : l’anonymat, les euphémismes et l’action de parler dans sa barbe1. De nombreux artistes de hip-hop et de rap ont utilisé des pseudonymes afin de garder un certain anonymat (ex : Ice Cube et Dr Dre). Certains artistes allaient plus loin et cachaient même leur visage (ex : MF DOOM et Spongebozz).
L’artiste Ice Cube dans sa chanson No Vaseline donne un point de vue intéressant sur les liens qui existent entre la commercialisation et les relations de pouvoir. : « When y’all motherfuckers moved straight outta Compton Livin’ with the whites, one big house » 9. Dans ce passage, le musicien critique le groupe NWA d’avoir renié leurs racines et d’être devenu des vendus qui sont financé par de riches hommes blancs. Plus tard, il utilise le terme « Massa Plantation » qui est une référence directe aux plantations d’esclaves. Aux yeux d’Ice Cube, son ancien groupe est devenu un esclave qui obéit aux exigences de son maitre (un manager qui est probablement caucasien).9
La commercialisation est, alors, vu comme une continuation de l’esclavagiste pour certains groupes musicaux et est en opposition avec les thèmes de lutte de pouvoir propres au hip-hop.
Ironiquement, ce sera au tour d’Ice Cube de poser les mêmes actions qu’il reproche au groupe NWA. En effet, le rappeur apparaitra dans la comédie tout-publique On arrive quand? en 20057.
Nous allons, maintenant voir un autre exemple qui montre comment la commercialisation peut nuire au message politique du Hip-Hop.
En 2006, le compagnie LEGO sort un nouveau produit de la série Bionicle, des figurines du nom de Piraka. Pour aider la vente de ce produit, la compagnie LEGO met en place plusieurs matériaux promotionnels. L’un d’eux est un clip de rap intitulé le Piraka Rap4.
L’utilisation du rap comme style musicale a probablement été choisi car cette musique était perçue comme populaire auprès des jeunes (publique cible de la marque LEGO), et non pour quelconque contexte politique. Il est très probable que chaque décision qui a mené à ce clip fut prise par une multitude d’exécutifs déconnecté de la scène hip-hop plutôt que par un véritable groupe de musique (le site Genius mentionne que c’est The LEGO Group qui est le réalisateur de ce clip4).
Ce clip remplace les mots « nothing » et « coming » par leur abréviation « nothin’ » et « comin’ »4. Ces emprunts au langage de rue, servent à illustrer l’aspect « cool » et « rebêle » que ces jouets essayent de vendre.
Les thèmes de la prison et de l’incarcération, qui sont présents dans le monde du hip-hop, sont également utilisés dans ce clip de rap. On peut voir les six membres du groupe Piraka dans une position similaire à celle d’un criminel qui se fait arrêter par la police6. On ne cherche pas à faire la critique du système carcérale, mais plutôt à montrer que ces personnages sont dangereux.
Ce clip comporte une exploration très en surface de la culture Hip-Hop, mais ne garde aucune trace de lutte de pouvoir.
Il semble que la culture Hip-Hop est prise dans une impasse. Elle est supposée être centré autour des luttes de pouvoir. Mais le moment où ce genre devient populaire et que son message devient accessible pour des millions d’individus , elle devient un outil marketing et perds toute substances.
1http://www.philo-cvm.ca/?page_id=886
2https://genius.com/Kool-moe-dee-battle-w-busy-bee-harlem-world-1981-lyrics
4https://genius.com/The-lego-group-piraka-rap-lyrics
5https://bionicle.fandom.com/wiki/Piraka
6https://bzpowercircle.fandom.com/wiki/Piraka?file=Police_Promo_Screenshot.png
7https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=57043.html