
Crise autochtone : le politique a-t-il fait défaut?
Trente ans après la crise d’Oka et quelques jugements plus tard, le Canada donne l’impression de revenir à la case départ chaque fois que surgit un conflit comme celui avec les Wet’suwet’en.
Ahmed Kouaou (accéder à la page de l’auteur)
Ahmed Kouaou
le 20 février 2020
« Depuis que la Constitution a été rapatriée en 1982, on a reconnu des droits particuliers aux Autochtones, mais on n’a pas défini jusqu’où s’étendent ces droits-là, qui sont les interlocuteurs qui peuvent exercer ces droits-là. C’est un travail qui a été laissé en suspens sur le plan politique et dont la réponse a été laissée aux tribunaux depuis les 30 dernières années, a-t-elle résumé dans l’émission 24/60.
Ce qui est clairement dit par la Cour suprême par ailleurs, a-t-elle ajouté, c’est la reconnaissance particulière de droits dans la Constitution canadienne. Donc, ce sont des droits qui sont protégés et qui, d’une certaine manière, sont à l’abri des droits des lois fédérales et des lois provinciales. Cette reconnaissance-là dans la Constitution constitue, et je cite la Cour [suprême], un »solide fondement pour négocier ».
En d’autres termes, les droits des Autochtones sont reconnus dans la loi fondamentale et confirmés par le plus haut tribunal du pays, mais les autorités politiques n’ont pas prévu de cadre clair pour le règlement des conflits qui peuvent en découler. Par conséquent, la justice est cycliquement sollicitée pour arbitrer des litiges.»
« Les arbitrages qui ont été faits par les tribunaux révèlent, 30 ans plus tard, que ce n’est pas une solution. Il y a un besoin de créer un espace de discussion, peu importe comment on l’appelle, il y a un besoin de créer un espace de délibération. »
— Une citation de Renée Dupuis, sénatrice indépendante
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Ahmed Kouaou (accéder à la page de l’auteur)
Ahmed Kouaou
le 20 février 2020
Consacrés constitutionnellement et validés par la Cour suprême du Canada, les droits des communautés autochtones se trouvent encore aujourd’hui au cœur de crises à répétition. L’absence de mécanismes de résolution de ces conflits fait durer le statu quo.
Après Oka, Ipperwash, Lac Barrière, Elsipogtog et bien d’autres mémorables bras de fer entre l’État et des communautés autochtones, le scénario se répète avec les manifestations des chefs héréditaires Wet’suwet’en et de leurs partisans.
Le conflit né dans cette communauté autochtone du nord-ouest de la Colombie-Britannique s’est propagé telle une traînée de poudre dans d’autres régions du pays, avec son lot de perturbations.
Il y a dans cet éternel recommencement le signe d’un malaise profond et généralisé. On y retrouve aussi un air de déjà-vu : des images fortes de barricades et de slogans enflammés, des face-à-face tendus entre manifestants et policiers. En toile de fond, des autorités politiques qui, comme prises au dépourvu, se débattent dans l’urgence de gérer une crise de trop.

La sénatrice indépendante Renée Dupuis pense qu’il est temps de mettre en place un processus de règlement des conflits autochtones.
PHOTO : RADIO-CANADASi l’histoire se répète ainsi, c’est parce qu’il y a des questions qui ont été laissées en suspens, affirme Renée Dupuis, qui est devenue sénatrice indépendante après avoir travaillé longuement dans le domaine du droit des Autochtones. Elle a d’ailleurs été, entre autres, témoin honoraire de la Commission de vérité et réconciliation, après avoir présidé
la Commission des revendications particulières des Indiens, une commission fédérale d’enquête et de médiation.
Depuis que la Constitution a été rapatriée en 1982, on a reconnu des droits particuliers aux Autochtones, mais on n’a pas défini jusqu’où s’étendent ces droits-là, qui sont les interlocuteurs qui peuvent exercer ces droits-là. C’est un travail qui a été laissé en suspens sur le plan politique et dont la réponse a été laissée aux tribunaux depuis les 30 dernières années, a-t-elle résumé dans l’émission 24/60.
Ce qui est clairement dit par la Cour suprême par ailleurs, a-t-elle ajouté, c’est la reconnaissance particulière de droits dans la Constitution canadienne. Donc, ce sont des droits qui sont protégés et qui, d’une certaine manière, sont à l’abri des droits des lois fédérales et des lois provinciales. Cette reconnaissance-là dans la Constitution constitue, et je cite la Cour [suprême], un »solide fondement pour négocier ».
En d’autres termes, les droits des Autochtones sont reconnus dans la loi fondamentale et confirmés par le plus haut tribunal du pays, mais les autorités politiques n’ont pas prévu de cadre clair pour le règlement des conflits qui peuvent en découler. Par conséquent, la justice est cycliquement sollicitée pour arbitrer des litiges.
« Les arbitrages qui ont été faits par les tribunaux révèlent, 30 ans plus tard, que ce n’est pas une solution. Il y a un besoin de créer un espace de discussion, peu importe comment on l’appelle, il y a un besoin de créer un espace de délibération. »
— Une citation de Renée Dupuis, sénatrice indépendante
Ce vide est perceptible dans la crise actuelle : les chefs de bande et les chefs héréditaires se disputent la légitimité de se présenter comme les interlocuteurs de la communauté.
Mme Dupuis est d’avis qu’il faut mettre en place des systèmes qui vont permettre à ces communautés-là d’exprimer clairement leur volonté et qui sont leurs représentants. Et il faut faire attention, ce faisant, à l’heure actuelle, de ne pas déstabiliser les conseils de bande, qui ont été les autorités reconnues par le gouvernement fédéral selon la loi, jusqu’ici.
La sénatrice rappelle qu’en 2007, l’ONU a adopté la Déclaration des droits des peuples autochtones, entérinée par le gouvernement canadien.
Ce texte confère aux communautés autochtones le droit de se doter de leurs propres instruments politiques et juridiques, en plus d’obliger les États à créer un processus équitable, transparent, ouvert, indépendant, impartial pour déterminer comment va s’exercer cette gouvernance autochtone sur leur territoire traditionnel.
Article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982
(1) Les droits existants – ancestraux ou issus de traités – des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.
(2) Dans la présente loi, peuples autochtones du Canada s’entend notamment des Indiens, des Inuits et des Métis du Canada.
(3) Il est entendu que sont compris parmi les droits issus de traités, dont il est fait mention au paragraphe (1), les droits existants issus d’accords sur des revendications territoriales ou ceux susceptibles d’être ainsi acquis.
(4) Indépendamment de toute autre disposition de la présente loi, les droits – ancestraux ou issus de traités – visés au paragraphe (1) sont garantis également aux personnes des deux sexes.

Le discours conciliant de Justin Trudeau à l’égard des communautés autochtones est mis à rude épreuve dans cette nouvelle montée aux barricades.
PHOTO : LA PRESSE CANADIENNE / JONATHAN HAYWARD
« On ne répare pas 150 ans de colonialisme en un mandat »
Si on reconnaît, comme la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones le prescrit, l’obligation de consulter en vue d’obtenir le consentement des peuples autochtones lorsque leurs droits sont affectés par des projets de ce type-là, eh bien, il faut mettre des mécanismes conséquents avec ça. Pour l’instant, ce n’est pas encore le cas, constate pour sa part Martin Papillon, professeur agrégé au Département de science politique de l’Université et de Montréal (UdeM).
Celui qui est également directeur du Centre de recherche sur les politiques et le développement social pense qu’on ne peut pas compter sur les tribunaux, sur les juges, que ce soit les juges de la Cour suprême ou d’autres instances, pour nous dire quoi faire.
Il faut développer à travers la négociation, à travers la collaboration, le développement de politiques conjointes avec les nations autochtones, des mécanismes pour régler ces conflits-là. Des mécanismes qui soient légitimes pour tout le monde et qui permettent de trouver des terrains d’entente.
« Si on peut retenir quelque chose de ce conflit-là, c’est précisément l’urgence de développer des mécanismes qui nous permettent de réconcilier les intérêts divergents et les droits des uns et des autres sur le territoire. On n’a pas le choix, il faut aller vers ça! »
— Une citation de Martin Papillon, professeur agrégé à l’UdeM



John Rawls :
https://www.economie.gouv.fr/facileco/john-rawls
John Rawls (1921-2002) est un philosophe libéral américain. Professeur à Harvard, il publie en 1971 sa célèbre Théorie de la justice dans laquelle il défend une société basée sur une justice redistributive qui réduirait les inégalités. L’ouvrage connait un succès rapide aux Etats-Unis, où la lutte pour les droits civiques et la guerre du Vietnam ont soulevé des questions liées à la notion de justice.
Les démocraties libérales ont privilégié le respect des libertés, parfois au détriment de l’égalité, tandis que les régimes socialistes ont restreint les libertés au nom de l’égalité. Rawls envisage une solution à ce dilemme : une société juste doit s’appuyer sur des principes qui garantissent la liberté et l’équité.
Rawls critique la philosophie utilitariste, qui repose sur l’idée que la société juste est celle qui maximise la somme des utilités de ses membres. En d’autres termes, qu’importe la répartition du bonheur, ce qui compte c’est le nombre total d’ « unités de bonheur » dans la société. Rawls critique cette approche : pour lui, la société doit s’occuper de maximiser l’utilité des plus désavantagés.
Le principe de liberté : chaque citoyen doit avoir accès aux mêmes libertés, et la liberté de chacun doit être compatible avec la liberté des autres membres de la société.
Rawls introduit dans sa pensée le concept de « biens premiers ». Ces derniers recouvrent les libertés et droits fondamentaux (revenu, richesse, pouvoir, opportunités et bases sociales du respect de soi). Ces « biens premiers » forment les soubassements d’une société juste, il convient de les mettre à disposition de tous. Amartya Sen ira plus loin que Rawls en considérant que l’accès aux « biens premiers » n’est pas suffisant pour garantir la justice d’une société. Pour Sen, il faut également se préoccuper d’égaliser les capacités (« capabilités ») des citoyens à profiter de ces biens (la santé, la réflexion, une longue espérance de vie, etc.).
Les Autochtones, « gardiens assiégés de la nature mondiale »
Pour la première fois à un tel niveau, le rapport du groupe d’experts de l’ONU sur la biodiversité (IPBES) publié lundi intègre les savoirs, les problèmes et les priorités de ces communautés, aux côtés des contributions scientifiques classiques.
« Ce rapport fait entendre la voix des peuples autochtones et essaie même de la renforcer au niveau international », se réjouit Lakpa Nuri Sherpa, de l’organisation Asian Indigenous Peoples Pact.
« Le rapport prouve aux décideurs que les peuples autochtones sont ceux qui protègent, conservent et encouragent une gestion durable de la biodiversité. »
— Une citation de Lakpa Nuri Sherpa, de l’organisation Asian Indigenous Peoples Pact
« La pression qui pèse sur eux est énorme », souligne Eduardo Brondizio.
Déforestation pour faire place à des monocultures, mines, infrastructures…
« Nous repoussons constamment les frontières de l’extraction des ressources à travers le monde. Les peuples autochtones ont été repoussés par ceux qui empiétaient sur leur territoire depuis 500 ans. Mais on les rattrape à chaque fois. »
— Une citation de Eduardo Brondizio, un des auteurs du rapport de l’ONU
Le président du Brésil fustigé
Le discours du président brésilien orienté vers l’exploitation des ressources et les exportations « vilipende les peuples autochtones » et « méprise les richesses de l’Amazonie », estime Eduardo Brondizio, s’exprimant sur ce point à titre personnel
« C’est comme utiliser la poule aux oeufs d’or pour faire une soupe au poulet. »
— Une citation de Eduardo Brondizio, un des auteurs du rapport de l’ONU
La question sur fond de vérité et de réconciliation


SUZIE O’BOMSAWINALN8BASKWA (ABÉNAKISE), ODANAK
En ce 30 septembre, première Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, mes pensées sont tournées vers tous les survivants des pensionnats indiens, tous les enfants qui n’en sont jamais revenus ainsi que toutes les familles concernées.
Publié le 30 septembre 2021 à 9h00
Mais avant d’aborder cela plus en détail, je sens la nécessité de préciser un élément qui peut paraître anodin, mais qui mérite d’être dit et redit. Pour les avoir entendues à plusieurs reprises, il conviendrait de revoir l’utilisation de formulations du genre « nous avons un plan pour nos Premières Nations, pour nos Autochtones ». Est-il courant d’entendre « nous avons un plan pour nos Canadiens, pour nos Québécois » ? À moins de me tromper, il ne me semble pas que ce soit une tournure de phrase fréquemment utilisée.
Ainsi, la relation que nous voulons construire entre les peuples, cette forme de réconciliation recherchée, ce discours de nation à nation, cette égalité entre nous, passe avant tout, selon moi, dans notre manière de nous exprimer.
Je pense que prendre conscience de cet aspect pourrait avoir un impact sur nos manières d’agir et de nous comporter, mais aussi sur le respect que nous accordons à tous et chacun.
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– Avoir accès à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille est un droit – pensons ici à l’accès à de l’eau potable, à des logements salubres et abordables, à de la nourriture disponible à des prix raisonnables, à des soins médicaux, etc.
– Avoir accès à une éducation est un droit.
– Être protégé contre les menaces d’agression, à la sûreté de sa personne, est un droit.2
Ce ne sont là que quelques exemples des 30 droits de la personne fondamentaux inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ceux-ci devraient être à la portée de toutes les personnes vivant au Canada, peu importe leur origine ou leur lieu de résidence.
Mais si nous voulons vraiment parler d’un enjeu autochtone et en débattre, la question de fond, à mon sens, a été posée par Marek McLeod lors du débat des chefs en anglais : « Comment puis-je faire confiance et respecter le gouvernement fédéral après 150 ans de mensonges et d’abus sur mon peuple ? En tant que premier ministre, qu’est-ce que vous ferez pour reconstruire la confiance entre les Premières Nations et le gouvernement fédéral ? » (traduction libre)
Dès maintenant. Car un pays comme le Canada ne devrait pas tolérer des écarts en matière de droits de la personne.
D’ailleurs, n’est-ce pas de tels écarts que le Canada dénonce à l’international ? N’est-ce pas là une partie de la vérité ?
Wliwni (se dit olé-oné), merci !
Wli nanawalmezi ! Prends bien soin de toi !
