Ce qu’il s’est passé le 5 novembre au festival Astroworld est troublant. Comment un rappeur peut laisser ses fans mourir devant ses yeux? 8 personnes sont décédées après avoir été asphyxiées et piétinées. Les spectateurs imploraient le chanteur et la sécurité d’arrêter le spectacle pour leur sécurité et personne ne les a écoutés. Bien entendu il y a beaucoup d’explications à ce drame comme le manque de sécurité. Cependant, la question se pose d’un point de vue éthique. Comment un artiste issu du mouvement hip-hop en vient à être si désintéressé du sort des gens autour de lui ? Pour répondre à cette question, j’aborderais l’histoire du hip-hop, mes observations sur la culture moderne du rap ainsi que celle d’experts sur la réalité des mouvements libéraux et communautaristes. De plus, j’aborderais la fonction sociale des icônes de la musique et l’intérêt de se pencher sur ce phénomène. Tous ces éléments seront mis en contexte à travers la tragédie du festival Astroworld.

Pour commencer, il faut comprendre d’où vient le mouvement hip-hop. Ce mouvement connait son émergence avec un mythe fondateur. En effet, en 1977, il y a eu un blackout dans le quartier de Brooklyn et les habitants du quartier en ont profité pour voler des tables de DJ et du matériel de production musical. Cela a popularisé un style de musique qui utilisait les vinyles et prônait des chansons qui dénoncent la dure réalité des habitants de Brooklyn. Bref de là est né le hip-hop qui était à l’époque un véritable acte de résistance politique. Ce style émerge aussi à une époque où les valeurs communautaristes règnent. En effet, les chansons passaient un message où l’appartenance à une communauté était primordiale, où l’on devait accepter les différences et non imposer le conformisme ainsi qu’une critique du cadre juridique offert par l’État. Le hip-hop est donc profondément imprégné de ces valeurs communautarisme. Dérive du hip-hop le rap est lui aussi issu des mêmes conditions socio-économiques. Cependant les valeurs originelles se sont perdues au fil des années au profit des idéaux libéraux.

La tragédie du festival Astroworld est due à une montée des valeurs libérales au détriment des valeurs communautaristes. En effet, le rappeur Travis Scott utilise la popularité du mouvement rap aux États-Unis pour se faire une fortune personnelle. Sa musique n’a plus rien de communautariste. Elle ne prône pas des valeurs comme l’importance de la communauté et ne dépeint plus la dure réalité des minorités racisée. À la place, ses chansons romancent la drogue, l’argent, la violence et le sexe. Prenons par exemple la chanson la plus populaire de Travis Scott Goosebumps. Cette chanson fait référence explicitement à une fille et implicitement à la consommation d’opioïde. Les messages véhiculés par Travis Scott valorisent alors un mode de vie libéralisée où l’indépendance et la réussite de l’individu sont le principal objectif. Cet artiste se présente comme un dur à cuir et incite à la violence et le crime dans la poursuite de gain personnel. Ce n’est, alors, pas étonnant qu’au festival qu’il organise, on présente une image d’atmosphère frénétique et même chaotique d’Astroworld. Il est alors tout à fait probable que le festival tourne en véritable fiasco. L’entraide n’est plus de mise, mais bien l’idée que chacun sauve sa peau. Mis à part le festival Astroworld, Travis Scott a fait parler de lui lors d’une collaboration avec la multinationale de fastfood McDonald. Cette collaboration est totalement libérale puisqu’il agit dans le but unique de protéger ses libertés individuelles ce qui passe de nos jours par la liberté financière (et donc le gain massif d’argent, peu importe l’impact sur autrui). Nos icônes de musiques pratiquent alors un genre de musique en faisant totalement abstraction des valeurs à la base de ce genre musical. Travis Scott n’est pas une exception mais bien un artiste parmi tant d’autres qui illustre ce phénomène.

Il reste à expliquer comment le hip-hop à l’époque si communautariste s’est mis à promouvoir un mode de vie si Il reste à expliquer comment le hip-hop à l’époque si communautariste s’est mis à promouvoir un mode de vie si individualiste et libéral. Le philosophe Michael Walzer s’est penché sur le sujet. Selon lui : « La critique communautarisme du libéralisme est un peu comme ces plis de pantalons : passagère, mais inéluctablement récurrente. Elle fait partie intégrante, quoique de manière intermittente, de la politique libérale et de l’organisation sociale. » On peut donc expliquer la marginalisation des idéaux communautarisme dans la musique comme un effet de mode qui ne durera pas. Inévitablement, les inégalités socio-économiques mèneront des artistes à une forme de protestation à travers un nouveau style musical qui lui illustrera des idéaux moins individualistes. D’autres penseurs se sont intéressés aux impacts de la société libérale sur ses individus notamment Karl Marx et Alasdair MacIntyre un philosophe écossais. Ces deux hommes font la même réflexion quant à l’incohérence de la vie intellectuelle et culturelle moderne et la perte de capacité narrative. Alasdair MacIntyre écrit : « Dans une société libérale, les hommes et les femmes n’ont plus accès à une culture morale unique qui leur permettrait d’apprendre comment vivre (MacIntyre, 1981, chap. II et XVII). ». Cela explique entre autres les thèmes véhiculés par les rappeurs de nos jours. Il n’y a plus de morale prédominante qui éduquerait la classe moyenne sur ce qui est bien et mal. C’est ainsi qu’on se retrouve avec des artistes qui romancent la drogue, la violence et le sexe. L’état de notre société extrêmement libéralisée entraine, donc, des conséquences aussi terribles que la tragédie d’Astroworld.

Cependant, il est important de comprendre le rôle de la fonction sociale qu’est une icône de la musique. Prenons encore l’exemple de Travis Scott. Bien qu’il ne soit pas le penseur derrière les idéaux libéraux qui contribuent au dépérissement des valeurs morales de notre société, il en est le messager. En tant que célébrité, il a 44 millions d’abonnés sur Instagram, 11,4 sur Twitter et 46 489 232 auditeurs mensuels sur Spotify son influence est indéniable dans la sphère publique. Des célébrités comme Travis Scott se doivent de faire une réflexion sur le message qu’il partage à leurs fans puisque ces mêmes célébrités agissent comme fonction sociale en instaurant un exemple à suivre. Cela est dû au fait que les célébrités connaissent le succès prisé dans le monde libéral. Donc l’institution qu’est Travis Scott à une fonction sociale importante puisqu’il est messager de ce qui est bien ou mal. Il se retrouve lui-même comme exemple à suivre pour bon nombre de personnes parce qu’il connait le succès recherché par tous. 

Le rôle du libéralisme dans la culture populaire du rap est d’intérêt primordial puisque son influence est planétaire. Reprenons Travis Scott comme exemple, en promouvant autant la violence et le chaos, il incite ses fans à agir de façon qui donne naissance au drame du 5 novembre 2021. Travis Scott montre alors l’exemple du comportement à avoir sur tous les plans incluant la responsabilité à assumer sur ses actes. Sa vidéo d’excuses montre à des millions de personnes ce qui est acceptable dans une situation pareille. Pour les fans de Travis, ce qui est, maintenant, acceptable est de présenter de lamentables excuses par vidéo et de lancer de l’argent sur le problème (en payant les funérailles et les poursuites judiciaires). Cela sans se remettre en question et réviser son rôle dans la tragédie. De plus, Travis Scott romance la violence, la drogue et le sexe ce qui a pour conséquence que la jeune génération fait pareil. Bien évidemment, Travis Scott n’est pas personnellement responsable de la consommation de drogue chez les jeunes, mais en tant que célébrité, il tient une part de responsabilité. Il est grand temps que nous examinions l’impact du message véhiculer par les artistes et célébrités puisque leurs conséquences sur la société sont majeures comme nous l’a démontré le festival Astroworld.

En somme, le hip-hop connait son émergence à travers les valeurs communautaristes, mais peu à peu, ces valeurs se remplacent par des valeurs libérales. Ce phénomène s’observe à travers les rappeurs populaires de nos jours qui ne dénoncent plus les inégalités socio-économiques, mais romancent la drogue, l’argent, la violence et le sexe. Travis Scott en est un symbole abject. Les philosophes qui se penchent sur le sujet des sociétés libérales expliquent ce phénomène par un effet de mode où le communautarisme connait toujours un succès populaire après avoir été marginalisé. Ce cycle se répètera jusqu’au jour où le communautarisme s’installera de façon définitive. Pour l’instant, il faut comprendre le rôle des institutions sociales que sont les célébrités. Il faut prendre en compte la fonction d’exemple qu’elles donnent à des jeunes qui évoluent dans une société sans compas moral. Ce sujet est d’intérêt public puisque l’exemple que donnent les célébrités connait des impacts immenses sur le mode de vie des générations futures. Alors la question se pose, comment s’assurer que les futures générations grandissent avec de bons exemples qui ne les poussent pas à l’individualisme, mais plutôt l’entraide sans tomber dans une entrave à la liberté d’expression ?