EFFACER LA PRÉSENCE AUTOCHTONE: Durant la seconde moitié du 19e siècle, les habitants francophones de la province de Québec craignent pour la survie du fait français et des valeurs qu’il véhicule. S’ensuit une volonté d’occuper le territoire. Pour les peuples autochtones, le choc est brutal. Au fur et à mesure que s’affirme la volonté politique d’assurer la survie de la culture canadienne-française par la colonisation, c’est l’existence même de ces nations que l’on tend à effacer, d’abord des livres d’histoire, puis du territoire.

LE QUÉBEC COLONISATEUR: Devenus minoritaires à la suite de l’Acte d’Union de 1840, à la fin du 19e siècle, les francophones subissent une certaine marginalisation économique. Le manque de terres arables et la situation économique difficile dans les campagnes entraînent le départ de centaines de milliers de Canadiens français vers les villes ou la Nouvelle-Angleterre. En raison de cet exode urbain, certains membres de l’élite craignent pour la survie de la « race canadienne-française ». Le clergé demande donc au gouvernement de soutenir la colonisation. À partir de la deuxième moitié du 19e siècle, le retour à la terre ainsi prôné est perçu comme un ancrage pour la culture, la langue, la religion et les traditions canadiennes-françaises.

Les gens éduqués cherchent à dissocier les Canadiens français des Autochtones en attribuant toutes les vertus aux premiers et tous les vices aux seconds. Les Autochtones sont tantôt infantilisés (on les appelle « les enfants des bois ») et en mal de civilisation, tantôt décrits comme des barbares bloquant le chemin au progrès. Ces images demeureront bien vivantes dans les manuels scolaires jusque dans les années 1960 et 1970.

« Les missionnaires, même s’ils n’avaient peut-être pas compris que leur objectif d’évangélisation était de supprimer, de traiter les Inuits comme des enfants. Il s’agit donc d’un effet de… vous savez, l’une des premières choses consiste à nous traiter, comme si nous n’avions aucune connaissance. » Lisa Qiluqqi Koperqualuk, peuple inuit

D’autre part, les historiens tendent à effacer les Premiers Peuples de l’histoire nationale. En 1950, Lionel Groulx évoque un territoire quasi désert à l’arrivée des Européens : « [a]u Canada, on avait affaire à un pays aux espaces immenses, mais presque vides, peuplé de rares tribus indigènes, celles-ci capables tout au plus d’une insignifiante collaboration économique ».

À la fin du siècle, les frontières mêmes du Québec changent, reflétant la volonté d’occuper et d’exploiter une région de plus en plus vaste. En 1927, les limites territoriales du Québec ressemblent désormais à celles que nous connaissons aujourd’hui. Les effets de la colonisation se font sentir aussi bien dans les communautés autochtones de la vallée du Saint-Laurent, dont l’espace vital se rétrécit sans cesse, que dans celles du Moyen-Nord québécois, qui sont affectées par le développement considérable de l’industrie forestière.

À partir du début du 20e siècle, le gouvernement joue un rôle dans le processus de colonisation. Ce sont toutefois les religieux qui auront le rôle central dans le développement des « nouvelles » régions à partir de 1840. Du recrutement dans les villages au sud de la province à l’appui logistique et moral nécessaire à l’établissement des colons au nord, ils ont été d’ardents défenseurs de l’entreprise coloniale. Les missionnaires n’ont d’ailleurs pas attendu les grands mouvements de colonisation pour investir les régions plus isolées du Québec et aller à la rencontre des Autochtones. Envoi de prêtres en territoires autochtones, où ils séjournent désormais quelques mois par année durant la période estivale. Leurs efforts visent surtout à remplacer les pratiques et les croyances ancestrales, perçues comme diaboliques par les disciples du christianisme. Les missionnaires assurent également aux Autochtones un certain soutien matériel et offrent des soins médicaux. La persistance des rituels autochtones indique cependant que tous ne se sont pas convertis avec la même ferveur ou que celle-ci n’implique pas nécessairement un renoncement aux croyances traditionnelles.

Plusieurs pensionnats indiens ouvrent leurs portes, dont les deux premiers sur la même île à l’est de la baie James, à Fort George (aujourd’hui Chisasibi). Il y a donc une compétition entre anglicans et catholiques pour l’ouverture des pensionnats et pour la conversion des autochtones. La course interconfessionnelle à la conversion des Autochtones a notamment mené à la multiplication des pensionnats dans l’Ouest canadien.

UN TERRITOIRE EXPLOITÉ ET RÉGLEMENTÉ: Exploitation des ressources naturelles par l’entreprise privée. L’exploitation forestière débute sur la réserve de Wemotaci en 1920 et bien que les compagnies ont promis une coupe sélective, elles n’honorent pas cet engagement. Les travailleurs s’adonnent également au piégeage sur les terres de la réserve.

La présence de l’industrie forestière exerce donc une pression considérable sur le mode de vie semi-nomade des Autochtones. Le braconnage pratiqué par les nouveaux arrivants réduit l’accès des Autochtones aux ressources essentielles à leur survie. La construction d’infrastructures telles que le chemin de fer modifie aussi considérablement le paysage des régions traversées. Au tournant du 20e siècle, le passage d’une industrie centrée sur le bois d’œuvre à la production de pâtes et papiers a également des impacts importants sur les modes de vie autochtones en raison des coupes forestières beaucoup plus importantes pratiquées. Les coupes massives des compagnies forestières détruisent les écosystèmes (survie des Autochtones) et entraînent l’encombrement des rivières par la drave. Les billots de bois acheminés par flottage jusqu’aux usines compliquent les déplacements sur les voies d’eau, principales routes utilisées par les Autochtones.

Plus tard au 20e siècle, l’exploitation de gisements miniers aura également un impact. La première loi concernant les mines adoptée en 1880 cite le principe de « liberté de prospection minière » (free mining). Ce principe suppose une intervention minimale de l’État et prône les intérêts miniers.

La construction de barrages sur les rivières et la création de réservoirs inondant de vastes territoires se fait aussi sans tenir compte des communautés autochtones y résidant. La construction de barrages et d’installations hydroélectriques a touché de nombreuses régions du Québec, notamment avec la création du réservoir Baskatong (HautesLaurentides et Outaouais) en 1927, du réservoir Cabonga (Outaouais) en 1928-1929 et du réservoir Dozois (Abitibi-Témiscamingue) en 1949. Ces aménagements entraînent la perte de territoire, de ressources et de lieux significatifs pour les populations autochtones, la contamination de l’eau et les déménagements forcés.

D’autres lois et règlements restreignent la liberté d’agir des Autochtones, notamment avec l’encadrement législatif d’activités traditionnelles telles que la chasse, la pêche et le piégeage. Malgré leurs constantes protestations, les Autochtones se retrouvent comme « des étrangers sur leurs propres rivières ». Acte des pêcheries en 1858: droits de pêche aux intérêts privés. La législation québécoise encadre étroitement la chasse et certaines méthodes de chasse traditionnelles des Autochtones sont interdites.

Avec la création des réserves à castor par le gouvernement du Québec dans les années 1930, les Autochtones disposent désormais de droits exclusifs de piégeage sur ces terres. Cela a cependant pour effet de limiter la mobilité des Premières Nations et la dimension des territoires de trappe.

L’exploitation et la réglementation des territoires ont pour conséquence d’encourager la création de réserves. En effet, devant l’invasion de leurs territoires, différentes communautés se résignent à demander que certains territoires leur soient réservés. Cependant, les réserves ont pour fonction véritable de libérer le territoire de la présence autochtone pour favoriser l’exploitation des ressources naturelles.

« Il y a eu aussi… […] ce qu’on pourrait appeler des règlements et des politiques qui venaient enlever l’exercice de nos droits fondamentaux, de vivre sur le territoire. Et on a eu énormément de difficulté à continuer de vivre de ce mode de vie-là. » Richard Kistabish, nation anishnabe

LA PARTICIPATION DES AUTOCHTONES AU DÉVELOPPEMENT DU QUÉBEC: La traite des fourrures est l’activité privilégiée pour favoriser la collaboration et les échanges économiques, mais aussi culturels. De 1668 à 1970, la Compagnie de la Baie d’Hudson aura ouvert plus de 80 comptoirs de traite de fourrure à travers le territoire du Québec. Cette coopération économique entre Autochtones et Allochtones nécessite et génère des rapports respectueux entre les peuples. De fait, la traite des fourrures sera bénéfique aux peuples autochtones semi-nomades qui peuvent ainsi maintenir leur mode de vie. En contrepartie, chez les Allochtones, la traite permet la constitution d’importantes fortunes, qui contribuent à l’essor du Québec et du Canada.

Les Autochtones participent également au développement économique par l’exploitation des ressources naturelles. De fait, l’industrie forestière ayant réduit la possibilité de subvenir à leurs besoins par la traite des fourrures, de nombreux Autochtones se joignent aux équipes de bûcherons. Ils participent aussi à la construction des infrastructures liées à la colonisation. Les Autochtones sont aussi présents lorsque les prospecteurs miniers partent à la recherche de nouveaux gisements, découvrant parfois eux-mêmes les métaux dans leurs sous-sols.

« Je pense qu’en ce qui concerne l’exploration et le développement, [les géologues] n’auraient pas été en mesure de réaliser ce qu’ils ont réalisé s’ils n’avaient pu compter sur la présence de personnes qui connaissaient très bien la région et […] qui ont partagé certaines de leurs connaissances… » Glenda Sandy, nation naskapie

L’artisanat autochtone se popularise et devient une source de revenus pour certaines nations. D’autres développent des expertises particulières, comme les monteurs de hautes charpentes métalliques. Ces ouvriers spécialisés dans l’acier ont œuvré sur un grand nombre de chantiers américains.

Bien peu de choses ont été écrites sur les relations entre les Autochtones et les Allochtones dans le contexte de la colonisation. Pourtant, le développement de certaines régions comme la Mauricie et l’Abitibi-Témiscamingue ont provoqué des rencontres et des relations entre eux.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *