Dans son livre, Mona Chollet remet ainsi à jour le portrait de la sorcière : celui d’une femme qui dérange.

Voilà qu’on (re)découvre que plutôt qu’une mégère au nez crochu, elle était surtout l’incarnation de la femme libre et indépendante, sexuellement active, tout simplement âgée ou propriétaire d’un savoir contrariant — comme celui de pouvoir faire avorter celles qui en avaient besoin.

La sorcellerie a jadis été un prétexte qui permettait d’avoir une emprise sur la femme et de maintenir une domination constante sur elle. Des femmes ne brûlent plus sur le bûcher pour le simple fait d’être femme, mais sont-elles aujourd’hui réellement libérées de ce qu’on reprochait autrefois aux sorcières? La situation sociale a-t-elle changé ou avons-nous simplement appris à vivre avec une misogynie plus subtile et insidieuse? Avons-nous encore le droit de nous plaindre? On connaît maintenant la sorcière moderne comme une femme inspirante, indépendante, libre, provocante et profondément féministe. Comment a-t-on pu transformer la figure de sorcière, autrefois hautement péjorative en une véritable force?

Tout d’abord, il faut comprendre que le fait d’utiliser la sorcière hérétique du Moyen Âge comme bouc émissaire est aussi arbitraire et imaginatif que n’importe quelle autre discrimination que notre monde a connue. Quand a-t-on instauré que le fait d’être un homme, d’être blanc et d’être hétérosexuel était la norme? C’était au même moment où l’on a décidé de diviser le monde pour pouvoir se regrouper et s’assurer de ne jamais faire partie des plus faibles et des plus persécutés. Notre façon de voir la femme a été façonnée par notre sensibilité et notre imagination bien plus que par notre pensée rationnelle.  Il est primordial de réaliser comme l’espèce humaine est influençable, par la religion, par l’État, par la masse du peuple pour en venir à croire dur comme fer en des choses qui n’existent pas, fascinant, n’est-ce pas? On a non seulement cru en quelque chose de complètement imaginaire, mais on est même allés jusqu’à collectivement le rendre réel, et même institutionnel en le rendant punissable par la loi. L’hérésie, qui était auparavant un crime religieux basé sur la foi et condamné uniquement par l’Église, est devenu répréhensible jusque dans la législation de l’État. Preuve que la haine des femmes a été un motif d’acharnement et de division pour des luttes inventées de toute pièce.

La sorcière est représentée de diverses façons, jeune, belle et envoûtante ou vieille et laide par ses verrues. Aucune représentation n’est plus positive que l’autre. L’une étant belle et consciente de sa beauté, elle s’en sert pour séduire les hommes et prendre part au plaisir interdit, tandis que l’autre est vieille et célibataire puisqu’elle a toujours refusé de fonder une famille et de se soumettre à la norme de ce que devrait être une femme. Dans les deux cas, on reproche à la femme d’être indépendante, de ne pas être contrôlée par une figure masculine et d’être provocante par son refus d’obéissance. On a bien peu de tolérance envers les femmes à cette époque, mais on se rend tristement compte qu’une femme qui dérange n’est pas davantage tolérée dans la société d’aujourd’hui.

Les femmes se réapproprient aujourd’hui la figure de la sorcière pour en faire une icône du féminisme. Cette réappropriation est une façon de s’émanciper et d’utiliser comme une force ce qu’on a toujours utilisé contre elles. Au temps de la chasse aux sorcières, elles n’ont jamais eu le choix ou la possibilité de se défendre, la société en entier était contre elles. Maintenant, et grâce aux avancées des droits de l’homme et des femmes, elles peuvent manifester, répondre, choquer, se défendre, et tout cela, sous la figure de la sorcière.

On comprend donc que si la femme se bat encore si fort, c’est que tout n’est pas acquis et qu’il reste toujours du chemin à faire. Dans toutes les structures sociales, on retrouve encore de flagrantes inégalités entre les hommes et les femmes. On reconnait moins les compétences des femmes, et on passe ainsi à côté de personnes qui pourraient être très utiles dans l’avancement et le développement de notre société. La cause féministe a bien sûr évoluée, mais le patriarcat fait tellement partie intégrante de notre société et de son histoire qu’il est impossible de méconnaître les traces que la chasse aux sorcières a laissé sur notre culture actuelle.

Il est impressionnant de reconnaître les avancées scientifiques, techniques, philosophiques et démocratiques que notre monde ait connu, et il est tout aussi impressionnant de réaliser à quel point rien n’a changé du côté du fondement de nos croyances misogynes, malgré toute cette évolution. Le problème est, selon moi, que la femme est toujours régie par les dogmes de l’Église, malgré la laïcisation de notre société. Même si la religion ne fait plus partie intégrante de nos vies, elle continue insidieusement de régir notre vision de la femme. Une vision de femme soumise, décorative, désirable et objectifiée, mais vulgaire lorsque le contrôle de son corps lui revient, choquante quand elle a trop d’assurance, mais inutile si elle choisit de ne pas enfanter, folle et extrémiste quand elle tente enfin de se défendre, mais tellement confortable quand elle reste dans la toute petite case qui lui revient, sans débordement.

Ainsi, je crois qu’il est beau et important de reconnaître tout le chemin parcouru, et qu’il l’est tout autant de chercher à comprendre comment améliorer le monde dans lequel on vit. Je crois qu’il faut d’abord un désir de révolution, une envie de mettre les bases de notre monde en feu pour en construire de nouvelles plus solides, moins imaginaire et subjective, plus communes. Un désir d’action plutôt que de passivité et d’attente. Le changement commence par nous, et il est primordial de continuer de nous questionner et de nous remettre en question, aussi inconfortable que ce soit. Une position confortable est une position qui stagne, et une position ou quelqu’un d’autre souffre à notre place. Donc oui, je pense que des institutions pourraient être mises en place pour assurer un développement plus égalitaire de notre société, mais que l’on a besoin de développer une curiosité, une conscience et une empathie envers l’autre en premier lieu. La base de tout cela, c’est l’éducation. Une éducation véritable et complète de l’histoire réelle de notre société, une histoire qui comprend les coups moins glorieux comme l’assimilation, les génocides, le patriarcat et la violence faite aux femmes. Parce qu’il faut se souvenir pour refaire différemment.

https://www.elle.be/fr/285285-femmes-sorcieres-icone-feminisme.html

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