LE BRONX ET LA POLITIQUE DE L’ABANDON: Baseball dans le South Bronx, second match des Worlds Series 1977, les New York Yankees contre les Los Angeles Dodgers, côte Est contre côte Ouest. Pour les Yankees qui n’avaient signé leur premier joueur noir que neuf ans après que Jackie Robinson eu fait tomber la barrière de la couleur – le joueur Reggie Jackson était la signature la plus coûteuse de leur histoire. Discrimination envers lui de la part de l’entraîneur, Billy Martin, et des coéquipiers. « La manière dont je suis traité dans cette équipe, ça me fait chialer. Les Yankees, c’est Ruth, Gehrig, Di Maggio et Mantle, et pour eux, je suis un Négro », « Je suis un homme noir costaud avec un QI de 160, qui gagne 700 000 dollars par an, et on me traite comme un chien », dit Jackson.

Cela faisait trente saisons que Jackie Robinson (premier Noir à jouer en Ligue majeure depuis l’interdiction posée à ce niveau depuis soixante ans par les propriétaires de clubs) avait modifié le terrain socio-politique, le jour où il entra dans l’équipe des Dodgers. L’élan pour faire reculer la ségrégation raciale après la guerre commença avec le moment culturel décisif où Robinson se leva du banc réservé jusque-là aux Blancs. Puis, en 1963, Martin Luther King Jr. prononça à Washington son discours « J’ai fait un rêve. » À Harlem, les journées de manifestations pour l’éducation et contre la pauvreté laissèrent la place à des nuits d’affrontements entre la police blanche et les jeunes Noirs.

En 1977, les choses n’ont pourtant pas changées. Les joueurs de couleurs parmi les blancs se font grandement discriminer et les manifestations éclatent de partout (feu dans Le Bronx).

MOUVEMENT DE MASSE: En 1953, une tranchée artificielle de onze kilomètres coupait le Bronx en deux. Là où cohabitaient avant des communautés diverses et soudées, la tranchée laissait désormais place pour la Cross-Bronx Expressway, une catastrophe moderniste de proportions gigantesques. « À la place des anciens immeubles résidentiels ou des maisons particulières s’élevaient désormais des collines de décombres, ornées des sacs éventrés d’ordures pourrissantes qui avaient été jetés dessus », écrivit l’historien Robert Caro. C’était Robert Moses, un puissant promoteur immobilier, qui était en charge de ce projet et qui conduisit l’exode des Blancs hors du Bronx.

Projet conçu en 1929 par la New York Regional Plan Association dans le but de transformer Manhattan en un centre huppé, relié directement à la banlieue par un réseau d’autoroute circulaire au cœur des circonscriptions les plus éloignées. La cross-Bronx Expressway permettrait aux gens de traverser le Bronx depuis les banlieues du New Jersey jusqu’aux banlieues de Queens en passant par le nord de Manhattan en quinze minutes. Dans les ghettos de Manhattan, usant des droits d’évacuations pour «la rénovation urbaine » afin de condamner des quartiers entiers, Moses délogea des commerces florissants et déracina des familles pauvres afro-américaines, portoricaines, et juives. Beaucoup s’installèrent dans des quartiers tels qu’East Brooklyn et le South Bronx, où le logement social était en plein boum mais où les emplois avaient déjà disparu.

Objectifs: «l’évacuation des taudis», réaménagement commercial et démantèlement du mouvement syndical des locataires. Ainsi, dans l’explosion immobilière des années 50 et 60, les Blancs de la classe moyenne héritèrent des maisons dans les banlieues «Whites Only», tandis que les classes laborieuses en difficulté héritèrent de neuf blocs de logements monotones ou plus, dressés dans des «parcs» désolés, générateurs d’isolement, et remplis de criminalité. Mais les Blancs partirent rapidement et le retranchement de cette élite trouva une violente contrepartie dans les rues qui se coloraient. Lorsque des familles afro-américaines, afro-caribéennes et latino s’installèrent dans des quartiers précédemment juifs, irlandais et italiens, des gangs de jeunes Blancs s’en prirent violemment aux nouveaux arrivants. Les jeunes Noirs et Latinos formèrent des gangs, d’abord pour assurer leur défense, puis parfois pour le pouvoir, parfois pour le plaisir.

MAUVAIS CHIFFRES: Le South Bronx avait perdu 600 000 emplois dans l’industrie. 40 % du secteur avait disparu. Au milieu des années 70, le revenu annuel moyen par habitant avait chuté à 2430 dollars la moitié seulement de la moyenne à New York et 40 % de la moyenne nationale. Le taux officiel de chômage des jeunes s’élevait de 60 % à 80 %. La culture du hip-hop a ainsi émergé d’un climat de chômage généralisé.

Les immeubles résidentiels passèrent entre les mains de marchands, qui refusaient de fournir chauffage et eau aux locataires, détournaient les taxes foncières, et détruisaient finalement les immeubles pour toucher l’assurance. Ils engageaient des casseurs professionnels pour incendier les immeubles et récoltaient jusqu’à 150 000 dollars de leurs polices d’assurance. Les compagnies d’assurance profitèrent de l’arrangement en vendant davantage de polices. Des groupes de voleurs organisés, certains accros à l’héroïne, pillaient les bâtiments incendiés pour récupérer les tuyaux, équipements en cuivre, et biens électroménagers qui pouvaient se refourguer. Un pompier déclara : « tous les incendies d’immeubles ne peuvent être que criminels. Personne ne vit là, et pourtant quand on arrive, le feu sort de trente fenêtres. » « Les gens déménagent. Le propriétaire commence à rogner sur la maintenance. Quand il arrête de faire du profit, de plus en plus d’appartements se vident… et en un rien de temps, c’est tout un bloc qui se retrouve complètement déserté. » Certains journalistes affirmaient que le South Bronx offrait la preuve irréfutable que les Noirs et Latinos pauvres ne souhaitaient pas améliorer leurs conditions de vie. Daniel Patrick Moynihan, le sénateur démocrate de New York, alla jusqu’à avancer : « Les gens du South Bronx ne veulent pas de logements sociaux, sinon ils ne les brûleraient pas. » «Le temps est peut-être venu où une période de «laisser-faire» pourrait être profitable à la question raciale ». Lorsqu’il devint public, le «laisser-faire» justifia les réductions des services sociaux accordés aux quartiers déshérités, et amorça la réaction brutale contre la justice raciale et l’égalité sociale. Moins d’une décennie plus tard, le Bronx avait perdu 43 000 logements. Entre 1973 et 1977, 30 000 incendies se déclenchèrent dans le South Bronx.

1977: 13 juillet: panne d’électricité durant le soir. Des pillards s’engouffrèrent dans les rues des ghettos de Crown Heights, de Bedford-Stuyvesant, d’East New York, de Harlem et du Bronx. Milliers d’incendies et de vols. Sous le mandat du maire Abraham Beame, la puissante ville de New York se dirigeait vers une ruine financière massive. Le South Bronx, tout ça n’était qu’une « Nécropolis – Une cité de la mort. » Ville morte: béton et briques pulvérisées, carcasses de voitures, vermine, merde et détritus pourrissants, bâtiments en ruines ou abandonnés…

UNE TERRE DE DÉSOLATION: Le South Bronx, un spectaculaire champ de ruines, une mythique terre de désolation, une maladie infectieuse et « un état de pauvreté et d’effondrement social, plus qu’une zone géographique. »  « Les indicateurs les plus terribles ne peuvent se mesurer en chiffres ». « Parmi eux, la peur qui prévaut chez de nombreux entrepreneurs et commerçants du South Bronx quant à l’avenir du quartier, leur inquiétude quant à la sécurité et la sûreté des investissements; la confiance décroissante et un sentiment de désespoir qui conduit nombre d’entre eux à capituler pour fuir vers d’autres secteurs. »

Mise en place d’une politique de «retrait programmé»: services de santé, de lutte contre l’incendie, de police, d’assainissement et de transports sont retirés des quartiers déshérités jusqu’à ce que toutes les personnes restantes partent à leur tour. Déjà, des écoles avaient été fermées et désaffectées, après avoir été préalablement privées de l’enseignement artistique et musical, puis des matières éducatives de base.

Pendant le sixième jeu des World Series de 1977, Reggie Jackson ,contre trois lanceurs différents et trois lancés, asséna trois home-runs. Les Yankees gagnèrent sur le score spectaculaire de 8 à 4. On était en 1977. Une nouvelle flèche de l’histoire prenait son envol.

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