Cet extrait de texte est extrêmement intéressant pour mieux réfléchir le concept de Reconnaissance. Dewey propose une analyse découlant de la relation entre le spectateur et l’œuvre d’art. Or il est frappant de constater à quel point cet effort de description s’applique avec justesse à la critique que Glen Sean Coulthard développe quant à l’utilisation des politiques de reconnaissance pour dénouer les relations entre l’État canadien et les Premières Nations.
L’art comme expérience
Tiré du chapitre intitulé Vivre une expérience
Extrait portant sur l’idée de reconnaissance p. 108-109
Lorsqu’il s’agit de reconnaissance, nous avons recours, comme pour un stéréotype, à un quelconque schéma préétabli. Un détail ou un assemblage de détails sert de déclencheur à la simple identification. Pour la reconnaissance, il suffit d’appliquer cette esquisse sommaire comme un stencil à l’objet concerné. Parfois, en présence d’un individu, nous sommes frappés par des traits, qui se limitent peut-être à des caractéristiques physiques, desquels nous n’étions pas conscients au préalable. Nous prenons conscience que nous ne connaissions pas la personne auparavant; nous ne l’avions pas vue au sens fort du terme. Nous commençons alors à étudier et à enregistrer. La perception remplace la simple reconnaissance. Il y a acte de reconstruction et la conscience est alors vive et animée. Dans ce cas, l’acte de voir implique la coopération d’éléments moteurs, même s’ils restent implicites et ne se sont pas exprimés; il implique aussi la coopération de toutes les idées déjà présentes qui peuvent servir à compléter la nouvelle image qui se forme. La reconnaissance est un acte trop simple pour susciter un état de conscience aiguë. Il n’y a pas assez de résistance entre les éléments nouveaux et anciens pour permettre que se développe la conscience de l’expérience qui est vécue. Même un chien qui aboie et remue la queue joyeusement au retour de son maître est plus animé à cette occasion qu’un être humain qui se contente d’une simple reconnaissance.
L’acte de simple reconnaissance se résume à apposer une étiquette convenable; par «convenable», nous entendons qu’elle a une fonction autre que celle de reconnaissance, comme un vendeur identifie ses marchandises à partir d’un échantillon. Ce type de reconnaissance n’entraîne aucun tressaillement de l’organisme, ni aucun émoi interne. À l’inverse, un acte de perception procède par vagues qui se propagent en série dans tout l’organisme. Par conséquent, la perception n’équivaut en aucun cas à voir ou entendre, avec en sus l’émotion. L’objet ou la scène perçus sont empreints d’émotion de bout en bout. Quand une émotion a été éveillée et qu’elle n’imprègne pas le matériau qui fait l’objet de la perception ou de la pensée, elle est soit préliminaire ou bien pathologique. La phase esthétique, ou phase où l’on éprouve, est réceptive. Elle implique que l’on s’abandonne. Mais laisser aller son moi de façon adéquate n’est possible qu’au moyen d’une activité contrôlée, dont il est fort probable qu’elle sera intense. Dans une grande partie de nos relations avec notre environnement, nous nous mettons en retrait; parfois par peur, ne serait-ce que de dépenser indûment notre réserve d’énergie; parfois parce que nous avons d’autres préoccupations, comme dans le cas de la reconnaissance. La perception est un acte de libération d’énergie, qui rend apte à recevoir, et non de rétention d’énergie. Pour nous imprégner d’un sujet, nous devons en premier lieu nous y immerger. Quand nous assistons à une scène de façon passive, elle nous submerge, et, faute de réaction, nous ne percevons pas ce qui pèse sur nous. Quand nous assistons à une scène de façon passive, elle nous submerge, et, faute de réaction, nous ne percevons pas ce qui pèse sur nous. Nous devons rassembler de l’énergie et la mettre au service de notre faculté de réaction, pour être en mesure d’assimiler.