De la suspicion naissait le refus de la différence derrière laquelle se profilait le diable mais, les mots ne suffisant plus, on s’orientait vers une juridiction permettant d’en venir aux actes.

Colette Arnould

Comme l’explique notre auteure l’hérésie du point de vue des autorités religieuses représente la condamnation morale de toute croyance contraire à la foi chrétienne. Par contre, du point de vue de ceux qui résistent au pouvoir religieux il n’y a pas hérésie mais bien esprit critique ou expression d’idéologies et de croyances différentes comparées à ce que les dogmes de la foi chrétienne affirment. Il est important de bien saisir ces deux points de vue pour comprendre les conditions ayant prévalues à l’émergence de l’Inquisition.

Il faut aussi nous intéresser au fait que l’Église elle-même est au prise avec une crise morale interne risquant de miner son autorité sur la plèbe, pour le dire dans le langage péjorativement connoté de l’époque. Dans l’extrait qui suit de l’Histoire de l’Inquisition au Moyen-âge d’H.-C. LEA, les voix qui s’élèvent pour critiquer le clergé de l’époque expriment bien le sentiment qui animera les Inquisiteurs pour contrer toute forme de décadence.

Un des principaux objets de la convocation du grand concile de Latran, en 1215, était le désir de corriger les vices du clergé. À cet effet on adopta de nombreux canons en vue de la suppression des principaux abus, mais les décisions du concile restèrent lettre morte. Les abus étaient trop profondément enracinés. Quatre ans plus tard, Honorius III, dans une encyclique adressée à tous les prélats du monde chrétien, dit qu’il a attendu jusqu’alors pour voir les effets du concile, mais que les maux de l’Église lui paraissent augmenter plutôt que diminuer. «Les ministres de l’autel, pires que des bêtes se roulant dans leur fumier, se font gloire de leur ignominie, comme à Sodome. Ils sont un piège et un fléau pour les fidèles. Beaucoup de prélats dépensent les biens qui sont confiés à leur garde et dispersent sur les places publiques les ressources du sanctuaire; ils donnent de l’avancement aux indignes, ils dilapident les revenus de l’Église au profit des méchants et transforment les églises en conventicules à l’usage de leurs familles. Moines et nonnes rejettent le joug, brisent leurs chaines et se rendent aussi méprisables que du fumier. C’est pour cela que l’hérésie fleurit. que chacun de vous ceigne son épée et n’épargne ni son frère ni son plus proche parent.»

Que fut le résultat de cette exhortation virulente? Nous pouvons nous en faire une idée par la description que robert Grosseteste, évêque de Lincoln, fit de l’Église en 1250, en présence d’Innocent IV et de ses cardinaux. Les détails sont inutiles à rapporter; mais la conclusion, c’est que le clergé est une souillure pour toute la terre que ce sont des Antéchrists et des diables ayant revêtu le masque des anges de la lumière, qui transforment la maison de prière en un repaire de voleurs. Quand l’inquisiteur de Passau, vers 1260, essaya d’expliquer la résistance de l’hérésie dont il s’efforçait vainement d’avoir raison, il rédigea à cet effet une liste des crimes communs parmi le clergé – liste horrible par la minutie des détails où elle se complaît. Une Église pareille à celle qu’il décrit ne pouvait être qu’un fléau à la fois politique, social et moral.

Dans l’extrait que nous venons de lire c’est à la condamnation morale des personnes décadentes que nous assistons. Nous remarquons aussi que la condamnation morale, même si elle est virulente, a peu d’effet en réalité sur la transformation des mœurs.

  • Prenez soin d’expliquer ce que signifie le concept de «condamnation morale».
  • Donnez des exemples de condamnation morale.

Pour bien comprendre ce que deviendra l’Inquisition au moment de la Chasse aux sorcières, il faut savoir que ce qui n’était qu’une condamnation morale sera judiciarisé. C’est en partie ce qui explique pourquoi des milliers de femmes subiront des procès pour crime de sorcellerie, procès judiciaires qui les conduiront au bûcher après avoir été enfermées et torturées.

  • Que signifie le concept de judiciarisation?

Au passage de la condamnation morale à sa judiciarisation s’ajouteront les conséquences de la lutte de pouvoir entre l’Église et l’État. Voyez comme il est important de nuancer nos propos car le renforcement de la judiciarisation des crimes d’hérésies permettra à la magistrature laïque, c’est-à-dire le pouvoir de l’État de prendre en partie le contrôle de l’Inquisition. Une influence plus grande qui aura pour conséquence d’élargir la catégorie des hérétiques. Ne seront plus considérées comme hérétiques les seules personnes ayant des idées contraire à la foi chrétienne mais celles et ceux qui ne correspondront pas aux intérêts de l’État moderne naissant.

Chronologiquement tel que présenté dans le document en ligne : Le monde des sorcières, d’hier à aujourd’hui.

  • 1231-1233 Le pape Grégoire III Instaure le tribunal de l’Inquisition contre les hérétiques. La bulle papale Vox in rama évoque l’existence de cérémonies secrètes diaboliques organisées par des hérétiques.
  • 1326-1327 La bulle Super illius specula de Jean XXII assimile magicien et invocateur du démon à des hérétiques donc les sorcières.
  • 1390 Première femme brulée sur décision du parlement de Paris. 1442 Première représentation connue d’une femme volant sur un balai…

Exercice :

Montrez en quoi le processus de judiciarisation fait passer la figure de la sorcière du domaine d’une représentation plus imaginaire à son existence dans la réalité sociale.

Décrivez les conséquences pour les femmes, d’hier à aujourd’hui, de cette évolution des conditions historiques ayant rendu possible la chasse aux sorcières.

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6 Replies to “De l’hérésie au crime de sorcellerie”

  1. Le texte de Colette Arnould prouve à quel point les hommes ont toujours mal réagis face à la femme libre, indépendante et autonome. Tel que dès que l’homme manque de contrôle sur le désir qu’il éprouve envers la femme, il projette ce sentiment de provocation sur celle-ci. Autrefois, il associait cette provocation aux diables ce qui leur donnait une raison éthique de les chassées. J’ai l’impression que ce même phénomène est encore présent aujourd’hui avec des phrases comme  » c’est pas de ma faute si elle était habillée sexy  ». Encore là l’homme refoule son désir sur la femme. C’est d’une incohérence frappante selon moi.

  2. Par rapport au processus judiciaire des sorcières, l’église se trouvait dans un moment critique et de basse crédibilité, de façon que la persécution de sorcières va venir renforcer la position de l’église sur le peuple, (plus de pouvoir) et aussi faire face à la monté en puissance de l’état.

    La chasse aux sorcières devienne un moyen de contrôler les femmes et de le faire rentrer dans un modèle correcte à l’époque. Aujourd’hui il existe des traces du passé de l’inquisition dans la société, qu’une femme habite seule chez elle est quand même jugé encore dans nos jours.

  3. Les conséquences des éléments fait au femme dans ces années est un lien directe avec les féminicide qu’on peut voir de nos jours. Il s’agie vraiment d’une courbe exponentielle inquiétante.

  4. Comme nous l’avons vu avec Pierre de Lorme, la figure de la sorcière est une femme sur laquelle nous avons projeté une certaine idée inventée, soit l’hérésie et la sorcellerie, qui relèvent en fait de l’imaginaire. Sorcière est en fait un titre que l’on appliquait à des femmes comme terme parapluie pour dénoncer un comportement suspect ou inhabituel, qui ne fait réellement que trahir une peur de l’inconnu. Le processus de judiciarisation, qui fait en sorte qu’une simple dénonciation issue de réflexions et de gymnastiques mentales provenant de craintes quelconques, fait le pont entre l’imaginaire et le concret, et place les femmes directement en opposition à l’État. Tout d’un coup, la raison de la dénonciation est oubliée, et elle devient automatiquement sorcière, prête à être punie. La femme ne peut plus se défendre, puisque sa parole n’est plus crédible (ou encore moins) face à celle des hommes. Ainsi, elle est brûlée, et ses cendres sont bien réelles.

  5. Il est facilement concevable que le processus de judiciarisation fait passer la figure de la sorcière du domaine imaginaire à une exposition réelle. Afin d’expliquer cette thèse, il faut porter attention au phénomène montant de l’hérésie lors de l’Inquisition. L’imaginaire de la population d’époque, peinturant les sorcières comme maléfiques et pleines de mauvaises intentions, a poussé le clergé et l’État à agir afin « d’éviter » le mal, ou plutôt ce qu’ils imaginaient comme étant mal. Comme ils supposaient que les sorcières étaient des suppôts de Satan, contrevenant à la foi chrétienne, et comme ils comprenaient pas les pratiques différentes des leurs, le processus de judiciarisation est rapidement arrivé à cause du pape Grégoire III. Les sorcières ne sont désormais plus des légendes, mais des ennemies du clergé et sujettes à être brûlées vivantes sur un bûcher. La judiciarisation a fait en sorte que les sorcières fassent un transfert de l’imaginaire vers la réalité. Elles ne correspondent pas au standard de l’État, on considère donc qu’elles méritent d’être exterminées.

    La chasse aux sorcières a été possible grâce au système patriarcal et à la misogynie omniprésente. Pourquoi les alchimistes et les druides n’étaient pas chassés alors qu’ils exerçaient fondamentalement les mêmes pratiques? Patriarcat. Sexisme. Les impacts de l’Inquisition sont d’ailleurs encore percevables à notre époque, où la majorité des sorcières sont présentées comme des femmes hideuses et avides de malheur. Évidemment, la misogynie est un sujet encore très actuel dans notre société moderne, et le principe de la sorcière fantasmée toujours présent dans les institutions culturelles contemporaines est un bon exemple que cette haine de la femme et du génocide sexiste ayant pris part durant l’Inquisition.

  6. Selon moi, lorsqu’une femme était différente de la norme formée par le peuple du Moyen Age, c’est là qu’elle était pensée comme une sorcière. Si les femmes s’opposaient et voulaient des droits, souvent elles finnissaient par mourir, brûlées. Donc, la chasse aux sorcières était réellement une chasse à toute femme s’opposant aux règles opposées par le peuple. Les femmes ont toujours dû souffrir à cause des hommes, car ils sont dit plus fort que les femmes et donc, ils doivent être en contrôle. Même aujourd’hui, il y a encore beaucoup d’inégalités pour les femmes. Certains pays leurs forcent des règles ou leurs donnent aucun droit. C’est seulement en 1945 que les femmes au Canada ont eu le droit de voter ce qui fait même pas 100 ans de cela. Aussi, les salaires entre les hommes et les femmes sont souvent une grande différence, car comme dans le passé, l’homme est supposément meilleur que la femme. Donc, la chasse aux sorcières était seulement pour punir les « mauvaises » femmes qui voulaient être libres.

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